TRIBUNE LIBRE/ FRANCOISE ENGUEHARD : ICI, c’est où?

A l’heure où la perspective de changement de nom de Radio Canada en ICI alimente nombre de débats via internet, voici une tribune libre signée Françoise Enguehard.

Ancienne présidente de la Société nationale de l’Acadie, cette journaliste et romancière aborde ce fameux changement de nom sous un angle inattendu, dans un contexte où la réalité francophonie prend un relief tout à fait particulier… selon l’endroit où l’on vit. A chacun son “Ici” !

Le texte est illustré par une photo dont la légende est des plus directes et laconiques : Ici. Il s’agit en fait du village de Quidi Vidi qui se trouve englobé dans la ville de Saint-Jean de Terre-Neuve.

Pour plus de précisions sur le parcours en journalisme, communication et littérature de Françoise Enguehard, consultez le site figurant sous son nom dans notre rubrique « En lien avec… ».

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Ici, c’est où?

Voilà que Radio-Canada s’appellera désormais « ICI », minuscule mot de la langue française qui est en fait immense, vaste comme notre pays, le Canada, vaste comme le monde.

Quelle sotte idée me direz-vous? Mais non… Pensez-y une seconde. ICI c’est là où je suis, c’est là où tu es, là où ils ou elles sont…

ICI ce n’est pas seulement un quartier plutôt étroit de Montréal compris entre la tour de Radio-Canada, la rue Saint-Denis et le Plateau Mont-Royal… non, pas du tout. Détrompez-vous! ICI c’est ma province de Terre-Neuve-et-Labrador, c’est son réseau culturel francophone et ses artistes, ses artisans; c’est Louise Moyes danseuse, conteuse et musicienne, c’est Marry Barry qui chante du jazz en français, c’est Bernard Félix, accordéoniste connu de par le monde qui transmet patiemment son patrimoine musical aux jeunes de l’école Sainte-Anne de La Grand’Terre; c’est Anita Best qui interprète de sa voix de cristal les chansons de marins français préservées sur la péninsule de Port-au-Port. Ce sont les pêcheurs, les travailleurs du pétrole, les mineurs de Labrador Cité, les ingénieurs de Churchill Falls.

ICI c’est aussi l’Acadie, ce pays du cœur qui est comme un défi jeté aux forces de l’assimilation et de l’uniformité culturelle; ce sont ses centaines d’auteurs, de chanteurs, de peintres, ce sont les toiles de Roméo Savoie, les chansons de Pascal Lejeune, ce sont les combats d’une jeunesse qui prend sa place sur la scène internationale, ce sont les travailleurs de la tourbe, les pêcheurs de crabe, le festival de musique baroque de Lamèque, les Gallant de l’Île du Prince-Édouard, les Boudreau de Nouvelle-Écosse, les Cormier et les Chiasson de Terre-Neuve-et-Labrador, des Îles de la Madeleine ou de Saint-Pierre et Miquelon.

ICI enfin c’est notre pays dans toute sa diversité; le million de francophones qui y vivent et qui ne sont pas tous, de loin s’en faut, des Québécois exilés en quête d’émotions fortes ou de dépaysement. Ce sont les visages divers et colorés de tous ces Canadiens qui regardent et écoutent Radio-Canada, se cherchent et, la vaste majorité du temps, ne se trouvent pas.

Parce que du haut de la tour de Radio-Canada, ICI c’est Montréal, « chez nous » comme on dit dans les bulletins météo. « Chez vous » c’est pour le reste du Québec, « ailleurs » c’est chez nous, chez vous… « Ailleurs », comme une miette, un reste, un fond de tiroir, un moins que rien, compris entre Halifax et Vancouver, petite phrase assassine qui, comme une éponge sur un tableau noir, efface d’un coup ma province et Victoria.

Et puis, on me l’a dit si souvent, ailleurs mon ICI donc, est loin!. Loin de quoi ou de qui? Loin de Montréal, bien sûr. Vu d’ICI, ai-je toujours répondu, c’est Montréal qui est loin…

Loin, si loin, dans « la maison mère », où des animateurs, présentateurs et journalistes pour la plupart myopes à l’extrême ne s’intéressent qu’à ce qui vit, bouge, créée un tant soit peu dans leur ICI, dans leur quartier. C’est dommage pour nous dont l’ICI est ailleurs. Et c’est très dommage pour nous tous qui manquons cette belle animation, ce bel élan, ces personnes qui enrichiraient tellement notre vie si seulement la société d’état leur prêtait attention, leur donnait la chance de s’exprimer, de se raconter…

Ainsi, à mieux se connaître… on découvrirait que ICI c’est PARTOUT!

Vraiment, en devenant ICI, Radio-Canada s’est donné tout un défi.