“En dehors d’artistes dont nous ne pouvons pas payer les cachets et qui remplissent n’importe quelle jauge, tout choix artistique reste délicat et complexe …
Nous faisons donc confiance à ceux qui ont cette pratique et ces compétences, tout en étant ouvert à toutes les propositions raisonnables ou pistes. C’est la raison pour laquelle la direction s’appuie sur une experte en la matière. Là où je me sens plus compétent, c’est en matière de prudence pour ne pas prendre de risques qui nous mettraient à terre.
Je crois beaucoup à la cohérence tel que je l’évoque plus haut : c’est ça l’avenir de Summerlied, un positionnement clairement identifié, et à la hauteur de nos moyens. Une ambition, mais légitime, une offre attractive, mais sans négliger nos talents locaux et régionaux.
Nous devons aussi gagner en indépendance financière, par exemple en séduisant plus de partenaires privés”.
Ce sont quelques-unes des affirmations de cette longue interview.
Sans langue de bois et avec bon sens, Francis Hirn s’exprime dans cet entretien mis en ligne le 5 mai sur la page Facebook Ohlungen entraide Covid-19 … et plus que jamais d’actualité.
Entre bilan et perspectives, le président de l’association SummerLied aborde nombre de sujets liés au passé, au présent et à l’avenir de cet événement enraciné enraciné dans la clairière d’Ohlungen et désormais appelé Forest’ival SummerLied. Agnès Lohr en assure la direction, Isabelle Sire la programmation et l’agence Lao Cai la communication.
Il y a quelques jours SummerLied a annoncé l’annulation de l’édition 2020. Un crève-cœur pour son président ?
C’est évidemment une très grande déception et une tristesse, car cela faisait des mois que les équipes travaillaient avec la direction sur l’édition 2020.
Il y a deux mois personne ne soupçonnait, ni l’importance, ni les conséquences du traumatisme et l’espoir était encore permis. Et d’ailleurs personne ne sait aujourd’hui comment nous allons nous en sortir et ce que sera l’après.
Certes nous étions restés très sereins et lucides, alors que depuis deux mois, la préparation s’était poursuivie sur tous les aspects où personne ne se mettait en danger par rapport à ce fléau qui a bouleversé nos vies. Parce que nous voulions être prêts « si jamais », nous avons fait « comme si ». Et la très grande partie de ce travail préparatoire ne sera pas perdue.
Mais progressivement nous avions pris conscience que la mission devenait impossible ; dès le début du mois d’avril nous avons donc réfléchi à différentes options alternatives que nous avons affinées et évaluées, avant de les valider financièrement. Car tous ceux qui connaissent Summerlied de près savent que l’équilibre financier est très fragile, et soumis à de nombreuses incertitudes, y compris en temps normal, alors a fortiori dans le contexte de la crise.
Tout en prenant en compte également nos partenaires financiers, mais aussi nos mécènes et sponsors, ainsi que la formidable armée des bénévoles qui sont le moteur indispensable de notre festival, nous souhaitions présenter nos réflexions et propositions aux instances dirigeantes, bureau et conseil d’administration, début mai, afin qu’ils décident avec nous.
Mais il y a dix jours, l’intervention du Premier ministre suivie du débat à l’Assemblée nationale, nous a contraints à bousculer le calendrier et à annoncer publiquement, par un communiqué à la presse, ce dont nous étions convaincus entre temps, que SummerLied ne pouvait pas se tenir en août 2020.
Cette décision peut-elle remettre en cause l’avenir du festival ?
Toutes les esquisses et réflexions que nous avons menées, dans des conditions pas faciles, ce que chacun peut imaginer (et même si je n’ai pas pu empêcher quelques attaques désagréables à mon égard notamment), étaient précisément faites avec la volonté farouche de ne pas compromettre l’avenir de SummerLied auquel nous tenons tous.
Nous le devons à ceux qui ont voulu, imaginé et créé Summerlied. Et nous le devons au public qui a adhéré à notre concept unique. Ce qui compromettrait l’avenir de SummerLied, ce serait le manque de courage et la lâcheté face aux difficultés, ou encore la mauvaise compréhension et l’incompétence face aux réalités économiques qui régissent toute activité quel qu’elle soit.
Même si nous avons été obligés de modérer nos ambitions pour 2020, ce que certains ont du mal à comprendre, le budget de Summerlied reste conséquent et chaque édition du festival est exposée à de gros risques, climatiques notamment, qui peuvent être une grande menace sur l’exploitation.
De plus les coûts artistiques sont galopants et l’argent ne tombe pas du ciel. Nous avons une lourde responsabilité vis-à-vis de nos partenaires publics et privés. SummerLied est très dépendant du financement, sous forme de subventions, de la part des collectivités (Région et département, mais aussi des communes, hier du SIVOM, désormais de la CAH). Pour assurer notre avenir nous devons l’avoir en tête et gérer notre affaire au mieux.
Nous devons aussi gagner en indépendance financière, par exemple en séduisant plus de partenaires privés. C’est un point de faiblesse de SummerLied ; j’en appelle à tous ceux qui peuvent nous aider dans ce sens. En résumé : nous n’avons droit ni à l’erreur, ni à l’insouciance. Par ailleurs, c’est l’occasion aussi de faire travailler nos imaginations quant à l’avenir. Si dans la Société rien ne sera probablement plus comme avant, cela devra s’appliquer aussi à notre événement.
Je dois dire que la volonté affichée de travailler davantage en réseau, avec les autres opérateurs du territoire, et le rapprochement opéré avec le Relais culturel de Haguenau s’avèrent comme étant de bons choix et allant dans la bonne direction. Avec le recul et malgré les réticentes perçues je ne peux que m’en féliciter.
Trois années sans festival : les bénévoles resteront-ils mobilisés ?
SummerLied n’est pas simplement un festival d’été, tous les deux ans dans la merveilleuse forêt d’Ohlungen, c’est un concept beaucoup plus large et plus vaste, pour ne pas dire une philosophie : celle de la valorisation d’un patrimoine culturel et du farouche attachement à un patrimoine inestimable et à des valeurs caractéristiques de l’Alsace du Nord et de ses habitants. N’oublions pas nos actions auprès des écoles et du jeune public.
Ceux qui se réjouissent de la magie des journées de festival sont profondément imprégnés de cette globalité. Leur foi et leur enthousiasme sont trop forts pour être menacés par un simple décalage calendaire auquel chacun de nous est étranger. Il s’agit désormais de préparer la suite, avec toutes les parties prenantes et notamment les bénévoles. Nous y travaillons et dès que nous en saurons plus, à la fois sur l’évolution de la pandémie et des conséquences, mais aussi quant à l’attitude de nos partenaires, nous en débattrons avec les bénévoles et leurs responsables.
L’hypothèse sur laquelle nous travaillons est de reporter le festival qui aurait dû avoir lieu cet été, sur l’année prochaine, 2021, à des dates qui seront décidées ensemble. Et à titre de « rattrapage » – mais ce serait aussi la bonne solution pour assurer la pérennité de Summerlied – nous pourrions en même temps préparer une édition suivante qui pourrait donc se tenir dès 2022.
Une première évaluation avec la directrice et l’équipe de direction du festival nous laisse penser que c’est jouable, mais il faut aussi des assurances du côté des partenaires au sens large et donc tout spécialement des bénévoles qui seraient mobilisés deux années de suite. Trois années « sans » festival – pour reprendre votre question – seraient donc suivies de deux années « avec » festival. Une belle consolation, non ?
Faudra-t-il une programmation ambitieuse pour la prochaine édition afin que Summerlied retrouve son public ?
Bien évidemment il le faut !
Comme toute offre, notre festival est quelque chose de global. Pour que ça marche, il faut que tous les éléments soient en phase et que l’ensemble soit cohérent.
Dans une offre culturelle et artistique comme la nôtre (et parmi les éléments qui nous maitrisons, ce qui n’est pas le cas d’une météo ou d’événements extérieurs), il y a tout particulièrement le plateau ou la programmation, qui est à l’évidence un élément central et déterminant. Il faut qu’il y ait « résonance » entre notre concept, tel que je l’ai rappelé plus haut, mais aussi notre public et last but not least le modèle économique.
Ce dernier point étant l’élément le plus incertain. En dehors d’artistes dont nous ne pouvons pas payer les cachets et qui remplissent n’importe quelle jauge, tout choix artistique reste délicat et complexe. On n’a pas forcément la chance de piocher tous les ans un Hugues Auffray ou des I Muvrini qui étaient à la fois cohérents avec notre concept, les attentes du public et nos ressources. Je ne suis pas compétent dans ce domaine ; c’est un métier difficile qui nécessite un véritable savoir-faire et l’expérience d’un marché difficile.
Nous faisons donc confiance à ceux qui ont cette pratique et ces compétences, tout en étant ouvert à toutes les propositions raisonnables ou pistes. C’est la raison pour laquelle la direction s’appuie sur une experte en la matière.
Là où je me sens plus compétent, c’est en matière de prudence pour ne pas prendre de risques qui nous mettraient à terre.
Je crois beaucoup à la cohérence tel que je l’évoque plus haut : c’est ça l’avenir de SummerLied, un positionnement clairement identifié, et à la hauteur de nos moyens. Une ambition, mais légitime, une offre attractive, mais sans négliger nos talents locaux et régionaux.
Un message particulier pour les artistes et les métiers du spectacle durement frappés par la crise ?
Pour exercer des responsabilité dans d’autres lieux culturels, tels le Festival international de musique de Colmar ou la Choucrouterie à Strasbourg, je suis parfaitement conscient de la tragédie qui frappe les professions culturelles : artistes, comédiens, auteurs, interprètes, musiciens.
Ces activités sont sinistrées au même titre que les professions touristiques et de la restauration, l’événementiel ou d’autres. Les dispositions et mesurettes à court terme qui s’appliquent à eux ne régleront pas le problème à moyen et long terme. Que ce sera l’après pour le monde culturel ?
D’abord au niveau du « mode de consommation » ? Certes la frustration actuelle de ne pouvoir sortir ni assister à quelque spectacle que ce soit, est une immense frustration et crée des manques qui chercheront à se satisfaire dès que ce sera possible.
Mais est-ce que les habitudes qui se sont créées à domicile pendant le confinement vont rester ou le public va-t-il revenir aux pratiques antérieures ?
Et les gens auront-ils suffisamment de moyens disponibles à consacrer au monde du spectacle, des loisirs et de la culture ?
Il serait tout à fait paradoxal que la culture devienne non prioritaire les jours d’après, car au contraire le besoin sera plus grand que jamais. Il faut espérer que la redistribution de nos valeurs lui laisse une place majeure.
Chacun, là où il se trouve et avec les moyens dont il dispose, doit faire en sorte que le « plus de culture », sous toutes les formes, s’impose et que les activités de création, de réalisation et de production triomphent.
A notre modeste niveau, les efforts que nous déployons pour faire vivre et perdurer Summerlied va dans ce sens, d’abord pour tout le monde artistique local, de proximité, mais aussi de manière plus large pour notre forme d’événement.
Propos recueillis par JACQUES SCHLEEF, créateur du Festival Summerlied et directeur jusqu’en 2015.
Entretien illustré par des photos d’artistes d’Alsace, Lorraine et Allemagne prises lors de diverses éditions. Il se termine par le dossier de 4 pages parus en septembre 2018 dans la revue Land un Sproch.
Photos ALBERT WEBER