Elvis Stengel occupe une place à part parmi les artistes et groupes que j’aime mettre en valeur pour leur engagement en faveur de leur langue maternelle. Sa vie ne se résume pas – loin de là – à celle d’un auteur, compositeur et interprète. Et son nouvel album confirme un talentueux engagement envers le francique lorrain, traditionnellement appelé Lothrìnger deitsch/ditsch ou Lothrìnger Platt. Ou tout simplement Platt.
Finie l’époque où il lui fallait jongler entre agriculture bio avec 100 vaches laitières le jour et chanson quand il avait le temps. Évidemment, cela ne l’empêche pas de continuer à s’intéresser à sa “vie d’avant” comme en témoignent diverses photos de sa page Facebook, dont sa visite au Salon de l’Agriculture, Porte de Versailles à Paris.
Elvis Stengel peut désormais donner libre cours à sa “vie d’artiste”, entre chanson et poésie. Car la poésie fait aussi partie de ses centres d’intérêt, qu’elle soit en français, allemand, alsacien ou platt.
En 2018, lors du dernier festival Summerlied (dernier à tous les sens du terme hélas !) le Prix Jean Dentinger y a été remis à Elvis Stengel. A cette époque venait de sortir “De Fresche wille e Kinich”, son 3ème album en français et en platt … avec un titre faisant allusion à la fable de La Fontaine “Les grenouilles qui demandent un roi”.
48 CHANSONS RÉPARTIES SUR 4 ALBUMS
“UN CD RURAL QUI SENT BON LE FOIN”
C’est évident, l’ancien exploitant agricole désormais à la retraite n’a en pas perdu de son inspiration. Ni de son bon sens aussi comme le confirme “Bli vom Brunne eweg” (“Ne t’approche pas du puits”) sorti quatre ans après son précédent CD.
Un nouvel album totalement enraciné dans sa langue régionale, le platt qui devrait retenir l’attention de ceux qui estiment que les langues régionales ne doivent pas être nivelées voire anéanties par le rouleau compresseur de l’uniformisation jacobine.
Comment présenter cet album ? “Un CD rural qui sent bon le foin, les mélodies légères au rythme entraînant, quinze titres en platt où l’artiste chante le terroir de Vibersviller et du Saulnois” selon Philippe Creux dans le Républicain Lorrain. “C’est une partie de la vie du monde rural entre Alsace et Moselle qu’on retrouve cette année dans les chansons d’Elvis Stengel” selon Thomas Lepoutre (Dernières Nouvelles d’Alsace” à qui il confie : “J’y chante mon amour de la vie rurale, avec plusieurs anecdotes qui m’ont inspiré ».
Au fil des ans, Elvis Stengel s’est forgé une belle réputation et il bénéficie de divers soutiens dans les médias régionaux, en presse écrite et audio-visuelle : France Bleu Elsass (notamment avec Pierre Nuss) ; Fréquence Verte (émission sur la chanson en alsacien et en platt d’Antoine Jacob), et France 3 Alsace aussi.
“LIEDLE FÜR ALL DI WU UNSERI SPROCH NOCH VERSTEHN !”
C’est donc un album de 15 titres qu’Elvis a enregistré avec sa fille Céline Stengel-Loeffler (piano) et Michel Ledig (harmonica). Sans oublier Alain Kermann (flûtes irlandaises, guitares, guitare basse, trompette, clavier) également sur le pont dans d’autres registres : arrangements, maquette, enregistrement, mixage, mastering).
“Liedle für àll die wu unseri Sproch noch verstehn !” a tenu à préciser Elvis Stengel sur la pochette du CD. Hé oui, des chansons pour tous ceux qui comprennent encore cette langue maternelle à laquelle il est plus que jamais attaché. Et à l’employer pour des refrains aux multiples inspirations.
A commencer par le titre éponyme ! “Bli vom Brunne eweg” ! Une mise en garde qui aura souvent résonné aux oreilles du chanteur durant son enfance : “Ne t’approche pas du puits, l’homme au crochet va t’attraper. Notre grand-mère disait ainsi pour nous dissuader d’aller jouer près du puits ou d’un autre point d’eau”.
Les temps ont changé, mais Elvis Stengel n’a pas oublié l’époque où la vie était sans doute plus proche de la nature, de traditions et d’une certaine manière de vivre et d’être.
Sur les 15 titres enregistrés en platt (avec ici et là de l’allemand et un peu de français), Elvis Stengel précise que “cinq s’adressent plus spécialement aux enfants. Elles ont été écrites pour l’OLCA (Office pour la Langue et les Cultures d’Alsace et de Moselle) à l’intention des enfants scolarisés en classes bilingues”.
De quoi parlent donc ces chansons ainsi commentées par l’artiste ?
“Der von dr Poscht”. (Celui de la poste!) “L’histoire d’un ancien qui m’a raconté la récolte des pommes de terre dans une année terriblement humide, il marchait sur des planches dans sa parcelle pour ne pas s’enliser ! Chanson rigolote dont le refrain dit : et celui de la poste picole seulement quand c’est gratuit !”.
“Im Hansnickel sin Kuh hàt gemàcht”. “La vache de Jean-Nicolas a fait …. meuh! Un texte de mon cru avec un refrain traditionnel alsacien. En passant de l’Alsace à la Moselle Hansmichel est devenu Hansnickel)”. De quoi se rappeler d’une célèbre chanson enregistrée par Roger Siffer sur son premier album.
“D Hàckemànn”. “L’homme au crochet, chanson pour l’OLCA pour les enfants des écoles primaires en classe bilingue”.
“Kumm mir fàhre uff Nanzich”. “Viens allons à Nancy… sur un air traditionnel une chanson sur la Place Stanislas à Nancy”.
“Klopp, klopp, klopp àm Himmelsdor”. “Frappe, frappe aux portes du ciel … une chanson allant dans le sens de “Knocking on heavens door” de Bob Dylan mais qui n’en est pas la traduction et sur une musique d’Alain Kermann”.
“S’Hàselied”. “La chanson du lapin … encore une chanson pour l’Olca pour les classes bilingues du primaire”.
“S’Fuchselied”. “La chanson du renard … autre chanson pour enfants également destinée à l’OLCA”.
“E bissel Geld im Mäppel”. “Chanson sur la ville de Sarre-Union d’autrefois avec tous ses petits commerces … c’est une reprise, une nouvelle version d’un titre du CD précédent”.
“Wenn de Gold hàsch”. “Si tu as de l’or, l’histoire d’un gars qui va de brocante en brocante tous les dimanches et ne vend jamais rien !”
“Hornung”. “Les anciens appelaient le mois de février “Hornung” . Ils craignaient beaucoup ce mois de l’hiver. Ils disaient alors : Février (Hornung) dit à Janvier, si j’avais ta force je ferais geler le veau à l’intérieur de la vache”.
“Lied vom Wolf”. “ Chanson du loup, un reprise de ma chanson en français enregistrée en 2003 sur la bête des Vosges, traduite en allemand”.
“D Oschterhàs”. “Encore une chanson pour enfants, le lapin de Pâques avec le passage des crécelleurs dans la semaine pascale”. Avec la participation d’Elisa et Maxime, petits-enfants d’Elvis Stengel.
“S Elise molt Fisch”. “Élise dessine des poissons … une chanson pour ma petite-fille Élise qui dessine des poissons, ses animaux préférés”.
“QU’ALLONS-NOUS FAIRE POUR GARDER NOTRE LANGUE” ?
Mention particulière pour “Se rossle widder àn de Sàwle”.
“Cette chanson-là comporte plusieurs niveaux si on prend le temps de bien l’écouter. Ils agitent à nouveau les sabres … Encore des souvenirs d’enfance, le samedi soir devant la télé noir et blanc, nous attendions le western sur la chaîne allemande ZDF dans le salon chez nos parents. D’autres émissions étaient programmées avant le film, il fallait attendre et patienter, et lorsque notre père regardait les infos évoquant les conflits aux quatre coins de la planète, il disait toujours : regardez comme ils agitent à nouveau les sabres ces va-t-en-guerre !”.
Cette chanson me tient particulièrement à cœur. Elle s’enracine dans un passé révolu, voire oublié (soirées en famille, feuilletons et émissions des chaines allemandes du samedi soir, etc.) et fait aussi référence à la guerre actuelle en Ukraine.
“Im ZDF verzehlt dr Rudi Carrel Witze / Fer Sender wächsle muss mr àm Kàschde knipse / In dr Stub) is wàrm, s’Télé Progràmm isch fein/ Mir wàrte àll uff d Western mim John Wayne/ D Nàchrichte màche d Vater ernscht löwe / Der Welt kànn mr iwerhàpt nimmé ver tröwe/ Löwe emol se rossle widder àn de Sàwle , hàt unser Vater gesàt”
“Sur la chaîne ZDF Rudi Carrel raconte des vannes/ Pour changer de chaîne il faut presser des boutons/ Il fait bon dans la pièce, le programme TV est top/ Nous attendons tous le western avec John Wayne/ Le père change d’humeur devant les informations/ Ce monde n’inspire plus confiance du tout/ Regardez comme ils agitent les sabres , disait notre père”.
S’y ajoute une autre réalité, celle du père décédé et de la langue maternelle elle aussi disparue.
“Jà s’isch àlles erum s’isch àlles gehàkt/ Doch d Télé zeit uns dàss es nàch Krieg schmàckt/ Corona isch iwer d Welt gezoh/ Unser Vater isch schun làng nimmé do/ Wie mr sàt sie sin bàll àll furt die Alte/ Wàs gehn mr màche fer d Sproch behàlte/.
Mais tout cela est bel et bien du passé/ Et la télé nous montre que ça sent la guerre/ Le corona a envahi la Terre/ Notre père n’est plus de ce monde depuis belle lurette/ On dit que les anciens sont presque tous partis/ Qu’allons- nous faire pour garder la langue ?”
Reste un dernier sujet à aborder. Une évidence évoquée avec ce “poète-paysan” qui chante en s’accompagnant à la guitare et à la serinette (orgue de Barbarie portatif).
UN NOUVEAU CD : ET POURQUOI ?
Raison de plus de soutenir cet attachant et inspiré auteur-compositeur-interprète qui, bien que ne disposant pas d’un site consacré à son actualité, est cependant très présent sur les réseaux sociaux.
De quoi retenir l’attention de ceux qui parlent le Platt en Moselle, et ailleurs. Notamment … mais oui … au Brésil. La deuxième langue la plus parlée dans ce pays c’est effectivement Platt. Plus de trois millions de Brésiliens la parlent quotidiennement et 10 millions d’entre eux la comprennent, comme m’en avait parlé lors de son séjour en Alsace Solange Hamester Johann, Brésilienne, enseignante de Platt.
Albert WEBER
elvisstengel@yahoo.fr