Déception, colère, scandale .. Hé oui, voilà ma première réaction en découvrant “et ton rire un oiseau …” le nouvel album de Jofroi.
Et assurément il y a de quoi quand on prend le temps de découvrir ces 13 chansons qui font du bien en ces temps étranges entre guerre et menace nucléaire.
Alors pourquoi être déçu, en colère et scandalisé ?
Tout simplement parce “et ton rire un oiseau” mérite incontestablement une large audience. Je veux dire bien au-delà de celles et ceux qui aiment la chanson non formatée, celle qui nous chavire, nous émeut, nous bouleverse, nous incite à agir aussi.
Alors évidemment il faudra (une fois de plus) se lever de bonne heure, voire ne pas du tout se coucher pour que ce nouvel opus de Jofroi retienne l’attention des “grands médias”, aussi bien de la presse écrite qu’audio-visuelle.
Mais qui s’intéresse encore aujourd’hui à ce nouvel album lumineux, tendre lucide et toujours rebelle ?
POÈTE, AUTEUR, COMPOSITEUR, TERRIEN, JARDINIER
Voilà pourquoi je parle de déception et colère, et aussi de scandale en me disant que la plupart des gens n’entendront sans doute jamais parler de cet album. A moins, évidemment, d’en découvrir une chronique dans une des rares publications de presse écrite encore consacrée à la chanson
et/ou sur incontournables sites comme celui de Michel Kemper, Nos enchanteurs : on y trouve plusieurs articles sur Jofroi dont le plus récent signé Robert Migliorini présente ce nouvel album sous l’angle de “Jofroi, des maîtres mots contre les maux”.
Inspirée par ce nouvel album, Claude Juliette Fèvre propose sur son site Chanter c’est lancer des balles non pas une chronique mais un jeu littéraire : “Une pure fiction, un jeu d’écriture où se trouvent insérés en caractères gras les 13 titres de l’album et quelques mots, expressions, empruntés ici ou là aux chansons”.
Au cas où vous n’auriez encore jamais entendu parler de cet auteur-compositeur-interprète à la “chaude voix enveloppante” selon l’expression d’Annie-Claire dans FrancoFans, ayez donc la curiosité d’en savoir plus sur le site jofroi.com !
“Belge du Sud (il vit actuellement dans le Gard), chanteur à double casquette traitant le jeune public en grands en parallèle à l’auditoire adulte, directeur artistique et figure de proue pendant vingt ans du festival Chansons de Parole de Barjac, Jofroi a décidément plusieurs cordes à son arc. Chanteur, poète, auteur, compositeur, humain, terrien, promeneur, jardinier, rêveur…”.
Assurément un citoyen du monde qui affirme : “Autant dire que je suis de nulle part. Il y a bien longtemps que j’ai quitté mon village natal ainsi que la terre où reposent mes ancêtres… Et mes enfants ne sont pas tout près non plus. Mais est-ce vraiment si important ? Dans ce monde où le futur de l’homme est planétaire. Je ne suis donc ni d’ici, ni de là… Je suis à l’endroit où je vis et j’y construis des univers, en partie imaginaires. Je suis de Champs la rivière, je suis de Cabiac sur terre… Et ces mondes se métamorphosent”.
Fraternité, humanité, citoyen du monde, avenir de la planète …
Tels sont les principaux repères de l’abondante discographie de Jofroi : une bonne vingtaine albums, sans compter les compilations et les disques collectifs.
Aussi je vous recommande vivement son livre “De Champs la rivière à Cabiac sur terre” : une lecture incontournable pour vous aventurer en toute liberté dans l’œuvre et aussi dans la vie de cet artiste avec tous ses textes de chansons, des monologues et contes pour enfants. Un sacré parcours de vie raconté entre anecdotes, photos et dessins.
“J’AI SEMÉ SIX AMANDES DANS UN COIN DE MON PRÉ”
“et ton rire un oiseau … ” s’inscrit dans le vécu d’un homme dont la vie ne se résume pas à chanter.
En témoigne le 1er titre, “Le monde d’après”, texte de bon sens et d’espoir, plein de réalisme aussi.
“J’ai semé six amandes dans un coin de mon pré. C’était début décembre 2020. J’avais les doigts gelés. J’ai creusé des petits trous. J’ai posé les amandes délicatement au fond, avec le germe bien dressé sur le dessus. Je les ai recouvertes de terre en tassant doucement. Au préalable, je les avais fait germer pendant trois semaines dans un pot en terre rempli de sable. Auparavant, je les avais gardées deux semaines au frigo pour qu’elles connaissent un hiver. Tout cela, comme l’ami des montagnes noires me l’avait recommandé, quand il me les avait données.
J’ai laissé mes semis et je suis rentré à la maison, en chantonnant “j’ai semé six amandes… et j’ai les doigts gelés”. Je pensais à l’avenir. Aux amandiers qui pousseraient fièrement sous le soleil printanier. Aux enfants, assis plus tard sous leur feuillage”.
“LA FEMME ET L’HOMME SONT ÉGALES”
“Désolé”, c’est un concentré des situations que nous tous subi un jour ou l’autre, dans tant de circonstances : “L’innocent refrain / Qui vous met dans le pétrin / Désolé, désolé“.
Une chanson entrainante, aussi enjouée que décapante ! De quoi inspirer un clip assurément grinçant mais également joyeux, voire optimiste vu la tournure de la chanson !
Autre titre, “La femme et l’homme sont égales” : superbe duo de Jofroi avec Monique Gelder où les deux artistes s’interpellent : “Allez va, ne le prend pas mal / Tu montes sur tes grands chevaux / Moi, j’te dis qu’il et elle se valent / Et n’sont ni rivales, ni rivaux”.
En fait, chaque chanson de cet album met en valeur un ressenti (“La tête en jachère”) , une situation, une tranche de vie loin de l’agitation urbaine et si proche de la nature, de la campagne … Un attachant kaléidoscope avec, entre autres, ses chansons d’espoir (“J’attends la fin de la nuit”) et également d’amour (“Tes yeux”)
“La synfaunie des oiseaux”, c’est un sacrée feu d’artifice enraciné dans tant de noms d’animaux qui nous sont familiers. Et de surcroit une formidable leçon de vocabulaire sur la manière dont s’expriment cette “jolie synfaunie / D’où en harmonie / Fusent mille cris / Qui s’élèvent en chœur / Où chacun leur tour / De nuit et de jour”.
“LES OISEAUX, MIGRANTS SANS PAPIERS”
“Est-ce qu’il neige à Montréal” ? Superbe chanson dédiée à André Lavoie, un poète québécois.
N’hésitez pas à découvrir la chaine Youtube de ce poète québécois qui a également inspiré Jofroi pour “Célébration des oiseaux” :
“Mon ami poète m’avait envoyé, depuis la rivière des prairies à Montréal, un joli texte célébrant les oiseaux, migrants sans papiers, enchantant nos décors… J’en ai fait une chanson. En rêvant que les humains en prennent de la graine…”.
Le Québec – où Jofroi a chanté plus d’une fois – réapparait ici et là au gré d’autres chansons, comme dans “C’est une idée” dédié à Raymond Levesque : “Et puis enfin, rêver / D’un nouvel hymne populaire / Qu’on ne chante plus le point levé / Mais qu’on chante les bras ouverts”.
Chanter les bras ouverts ?
“Cette idée je l’avais tourné dans tous les sens lorsque j’écrivais les chansons de l’album précédent. En février 2021, j’ai appris la mort de Raymond Lévesque, ce merveilleux chanteur québécois, auteur de “Quand les hommes vivront d’amour”. C’est ainsi que m’est apparue alors, comme une évidente, cette idée qui fait sourire”.
L’album se termine avec deux chansons incontournables qui me donnent toujours la chair de poule.
Deux titres majeurs de Jofroi. Deux hymnes à l’amour, à la fraternité, au besoin et à l’envie de vivre, de construire, de créer, d’être heureux et de rendre heureux tout simplement
D’abord “Faut bâtir une terre” : “Cette chanson fétiche m’a accompagné sur scène pendant un demi-siècle. C’était l’occasion de lui redonner vie pour un autre demi-siècle !”.
Et puis Si ce n’était manque d’amour, autre chanson très connue de Jofroi.
A retrouver ici une version collective et sans frontière enregistrée durant le confinement en 2020 et visible sur Youtube.
Jofroi se souvient de “ce moment intense de partage avec tous mes amis, musiciens et autres, où unis par le lien soudain magique de nos téléphones portables, de nos caméras d’ordinateur, nous nous étions retrouvés comme autour d’un grand feu de camp sur la toile, à jouer et chanter à tue-tête “on serait bien mieux en ces beaux jours, si ce n’était manque d’amour” à travers toute la francophonie”.
Sorti en février 2022 chez EPM avec un livret de 16 pages, “et ton rire un oiseau … “, c’est aussi une histoire d’amitié vécue par une poignée de talents :
guitares et voix (Guy Werner), batterie et percussions (Gauthier Lisein), basses (Alain Rinallo), violon et voix (Aurélie Goudaer), violoncelle (Kathy Adam), chœurs et voix (Monique Gelder). Un
Sans oublier la complice de Jofroi, aussi bien sur scène qu’en studio avec cet album aux arrangements et direction musicale signés Line Adam (piano, flûtes). Colin Burton assure la prise de son et aussi le mixage avec Maxime Burton.
Si vous lu cet article jusqu’ici, peut-être comprenez-vous mieux ce que je vous disais en début de texte en parlant de déception, colère, scandale !
Imaginez un instant – un exemple parmi d’autres question médiatisation – le documentaire télévisé qui pourrait être réalisé sur l’aventure artistique et humaine cet auteur-compositeur-interprète majeur de la francophonie …
sur sa complicité avec Jean-Pierre Chabrol qui lui confia des textes qu’il mettra en musique …
ses rencontres avec Félix Leclerc, Gilles Vigneault, Léo Ferré, Jean Ferrat, François Béranger, Julos Beaucarne et bien d’autres créateurs des deux bords de l’Atlantique, et d’ailleurs !
Mais oui, il n’est pas interdit de rêver en cette période où les “play-list” font la loi aussi bien sur les stations commerciales que les radios du service public…
En attendant de retrouver Jofroi sur le petit écran (allez, l’espoir fait vivre !), savourez donc sans retenue cet album des Productions du Soleil.
Et croyez moi ça fait du bien en ces temps de folie guerrière : oui, c’est évident, “on s’rait bien mieux en ces beaux jours, si ce n’était manque d’amour”.
Nouveau récital ET TON RIRE UN OISEAU avec Line Adam (piano, flûte et accordéon) et Guy Werner (guitares) :
- mercredi 25 mai, 20h, Festival Dimey, Nogent (52)
- samedi 28 mai, 20 h, Paris, Café de la Danse
Texte Albert Weber
Photos studio Facebook de Line Adam
Textes et extraits des chansons
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