En déplacement au Québec pour le Festival en chanson de Petite-Vallée, j’apprends avec stupéfaction de l’historien réunionnais Sudel Fuma, si souvent rencontré durant mes années de journalisme sur cette île de l’océan Indien.

Victime d’un naufrage au large de la ville de la ville de Sant-Paul, le 12 juillet 2014 à l’âge de 62 ans, il laisse le souvenir d’un militant déterminé de l’identité réunionnaise, sans langue de bois, avec une fougue communicative pour TOUT ce qui concernait la mise en valeur de l’Histoire, du Patrimoine et AUSSI l’avenir de sa terre natale.

Voici l’article que vient de lui consacrer le site réunionnais 7 lames la mer, site réunionnais partenaire de www.planetefrancophone.fr sous la signature de Nathalie Legros et Geoffroy Géraud Legros sous le titre  “Eternel Sudel, koman la kolère pran nou”. 

Ton cri du cœur ne sera pas oublié par nous et l’histoire ne t’oubliera pas.

L’ami Sudel que La Réunion pleure. Debout dans nos esprits, au visage rayonnant, bras ouverts pour accueillir, pour marquer l’entrée de la dalonnerie créole, de la camaraderie offerte à tous sans distinction, du cercle intime de la fratrie réunionnaise.

Sudel était un historien — non point dans l’acceptation, tant convenue que déviée, qui permet aujourd’hui aux chroniqueurs les plus faibles de se proclamer « chercheurs » — mais un historien, disons-nous, véritable. Un intellectuel qui, inlassablement, tentait avec méthode et science, de démêler ce que Paul Veyne nomme « l’intrigue historique ». Insistons : Sudel était un intellectuel. C’est-à-dire, un savant qui investissait son prestige dans l’espace politique, et non point l’une de ces créatures bureaucratiques venues rechercher dans l’Université des prébendes symboliques.

Professeur des Universités, titulaire de la Chaire UNESCO, Sudel représentait aussi, à l’instar de son collègue Prosper Éve, une génération de Réunionnais partis à la découverte de ce continent aussi intime que méconnu : l’histoire du pays réunionnais, l’histoire du peuple réunionnais, et l’histoire, si longtemps tue, du fait esclavagiste.

Face au choc et à l’émotion, face à la colère qui nous prend devant l’absurdité de ce destin tragique, le meilleur hommage que nous puissions rendre à Sudel Fuma est d’entendre sa parole, de suivre le sentier qu’il avait ouvert sans jamais renoncer, sans jamais se résigner, en quête de vérité, sur la trace des ancêtres : le sentier des rebelles, des Réunionnais qui savent que la terre parle, que les pierres témoignent, que dans les grands mystères de cette île se cachent les vestiges de notre âme.

Nous pourrions écrire encore et encore sur Sudel Fuma, retracer son œuvre, sa vie, ses multiples combats, ses qualités humaines, les fulgurantes avancées de l’histoire réunionnaise que nous lui devons… Joindre notre voix aux innombrables hommages que sa disparition suscite. Mais le meilleur hommage que nous puissions rendre à Sudel Fuma est de restituer encore et toujours sa parole. Et sa capacité à « prendre la colère » et à transformer son énergie en puissante vérité positive offerte à tous, sans compromis.

Nous avons donc décidé de publier à nouveau ici son dernier « cri du coeur » comme il l’avait lui-même qualifié. C’était le 4 juin dernier, à une heure avancée de la nuit. Captant au vol un message lancé par Sudel sur la toile, nous avions répercuté son cri sur notre site, après avoir échangé avec lui. Il avait donné son accord immédiatement et ponctué cet échange nocturne du mot : « amitiés ». Que cette parole en héritage soit entendue !

Geoffroy Géraud Legros et Nathalie Valentine Legros

J’ai appris avec stupeur la décision d’attribution à la SHLMR du terrain de la prison Rue Juliette-Dodu qui sera détruite très prochainement pour un projet immobilier… Une véritable catastrophe culturelle quand on connaît la valeur patrimoniale de ces bâtiments où ont été exécutés des esclaves marrons, où ont été emprisonnés des engagés indiens et d’autres pauvres créoles du XIXe siècle !
 
Comment peut-on commettre un tel crime avec la complicité de l’Etat et de la commune de Saint-Denis ! Pourquoi cette destruction, Monsieur Le Maire ?
 
On nous dira qu’on protègera quelques murs pour faire passer la pilule de la résignation, mais l’essentiel des bâtiments sera rasé ; l’âme de cette prison — une des rares prisons coloniales à avoir fait l’objet d’une brillante thèse d’Etat, celle de Bruno Maillard, dont j’ai été le président de Jury — ne sera présente que dans nos livres d’histoire…
 
Aux assassins du patrimoine, je leur dis publiquement ma colère et celle de mes ancêtres bafoués par vos projets immobiliers… Je les accuse de crime culturel, eux qui prétendent défendre le patrimoine et qui pour des raisons obscures, inavouées (nous imaginons les affairistes qui se frottent les mains…) saccagent, détruisent des murs qui ont vu le sang de leur propre ancêtre couler au temps de l’esclavage…
 
Comment les pauvres Rmistes des futurs logements sociaux pourront vivre tranquillement sur des terres souillées ? et pourquoi eux ? Mon cri de cœur sera vite oublié par vous, vous allez même en rire et ironiser mais l’histoire ne vous oubliera, et les ancêtres ne vous pardonneront pas ce sacrilège…Ils vous attendent au tournant.
 
Sudel Fuma
Historien, Université de La Réunion
4 juin 2014

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Nathalie Valentine Legros & Geoffroy Géraud Legros

Chroniques réunionnaises à quatre mains, avec Geoffroy Géraud Legros et Nathalie Valentine Legros.