La disparition de Jean-Louis Foulquier, mardi 10 décembre 2013, a suscité de très vives réactions en France et dans l’espace francophone.
Voici le témoignage de Philippe Savouret, directeur de la Médiathèque Bernard Dimey de Nogent et vice-président de l’association organisant chaque année en mai un festival de chanson française dans la cité natale du créateur de “Syracuse”.
France Inter fête ses 50 ans et Jean-Louis Foulquier vient de nous quitter trop tôt : 70 ans.
Je tenais à rendre hommage au copain de Bernard Dimey qui était “sa conscience” et qui nous a enchanté en enregistrant deux émissions “Pollen” un certain 10 mai 2006.
Merci Jean-Louis et sa fidèle collaboratrice Pauline.
10 mai 2006. L’équipe du festival avec Jean-Louis Foulquier. Au premier rang l’auteur-compositeur-interprète québécois Steve Normandin et son incontournable accordéon
“Au Large de la nuit, Jean-Louis Foulquier s’en est allé”
“Studio de nuit”, “ Bains de minuit“, “Pollen”, etc
Autant d’émissions animées par celui que Claude Nougaro surnommait “le patrouilleur d’étoiles”.
Venu de La Rochelle, Jean-Louis Foulquier s’installe à Montmartre et entre à France Inter. Très vite il animera sa propre émission: le ton est nouveau, la liberté totale.
Beaucoup de chanteurs y feront leur première radio. Plus tard naîtront les Francofolies. Sans délaisser la radio, le cinéma l’accapare de plus en plus.
Philippe Savouret, directeur de la Médiathèque Bernard Dimey et vice-président de l’association présidée par Yves Amour
“Dimey ma conscience”
Rochelais depuis 1943, et passionné de rugby, il emménage 28 rue Durantin à Montmartre; il y restera dix ans. Le soir même, Jean-Louis Foulquier descend au “Nazir” acheter ses cigarettes.
Là, un homme au comptoir l’interpelle. Laissons Jean-Louis Foulquier nous raconter la suite :
“Je tourne la tête et aperçois un molosse courbé sur le comptoir. Il me charrie sur mon profil de loup de mer et m’offre un verre. Je suis en présence de Bernard Dimey, figure montmartroise incontournable.
Dès le premier regard échangé, j’ai l’intime conviction que l’on ne va plus se quitter. Grâce à lui, je vais rencontrer Jean-Roger Caussimon, Michou, l’écouter avidement me parler de Michel Simon, apprendre à aimer encore plus la chanson. Auteur interprète, Jean-Louis fait du cabaret. Pris en main par Dimey, il chante “Au Gavroche” chez Jo Attia. Bernard Dimey est un cactus du pavé de la butte.
Ancré là et increvable. Lorsque nous passons la rue des Abbesses, il me dit “On va à Paris”. Il m’apprend les dangers de la ville et s’emploie à me faire renifler la vie et les secrets du quartier.
Les choses importantes se passent au village et nulle part ailleurs. Lorsque je rencontre Bernard Dimey, je ne sais pas encore qui il est.
Pourtant il a déjà écrit “Mon truc en plumes” pour Zizi Jeanmaire, “Mémère” pour Michel Simon et “Syracuse” pour Henri Salvador. Il dit ses textes au Gavroche et au Tire-bouchon et se suffit largement d’une notoriété de cabaret.
Dimey est le pacha du village et règne en maître sur le sommet de cette pièce montée gorgée de traditions. Il aime les rituels. Chaque samedi il m’attend sur le coup de 14h. Je suis planté devant un petit bouquiniste, j’attends son signal pour monter. Il gueule sans apparaître : “Foulquier t’as du Bordeaux ?”.
Sans attendre, je sors ma bouteille de Bordeaux et me présente à lui, la gueule enfarinée, comme un gamin visitant le père Noël. Je l’écoute parler, et tourner les pages de son encyclopédie de la vie. Je le regarde avec un tel bonheur qu’il se sent aimé pour la première fois.
Je deviens son fils adoptif. On se retrouvait dans une librairie proche et on discutait longuement : “Lis-ça, après tu seras moins con!” me disait-il en me tendant un ou plusieurs bouquins. Soudain je n’ai plus honte de mon inculture qui devient une chance.
Cette soif d’apprendre et de comprendre bouleverse nos rapports. Désormais je ne peux respirer sans l’ombre de Dimey. C’est un abri, un havre de paix, un professeur imprévisible. Mon guide, premier de cordée. Ma conscience.” “Au large de la nuit”, Jean-Louis Foulquier, Denoël“.
1976. Jean-Louis Foulquier et Bernard Dimey. Au premier plan Jean-Roger Caussimon
Bernard Dimey s’invitera régulièrement à l’émission de son copain. En particulier en 1976 où il est en compagnie de Jean-René Caussimon et Léo Ferré”
Bien que plutôt rock and roll, Jean-Louis Foulquier va s’intéresser bien sûr aux chansons à textes de Bernard Dimey mais aussi à Dalida, Jacqueline François. Très éclectique ! Rencontre avec Pierre Barouh.
A 22 ans Jean-Louis entre dans la Grande maison, d’abord au standard de Samedi chez-vous.
Puis vient le temps des remplacements. Il réveille la France en chansons. Mais plutôt oiseau de nuit, il propose,après des vacances, “Studio de nuit” en 1975 avec une liberté absolue et portes ouvertes.
Débarquent alors Jacques Higelin, Bernard Lavilliers, Renaud, Daniel Balavoine, Francis Lalanne, Patricia Kaas, etc.
Le succès est total et va perdurer avec les émissions en direct et en public qui vont suivre : Saltimbanques, Bain de minuit, Y a d’la chanson dans l’air.
Bernard Dimey s’invitera régulièrement à l’émission de son copain. En particulier en 1976 où il est en compagnie de Jean-René Caussimon et Léo Ferré.
Pollen est né en 1984: son titre extrait d’une chanson de Pierre Barouh :
“Aujourd’hui, je suis ce que je suis, nous sommes ce que nous sommes et tout ça, c’est la somme du pollen dont on s’est nourri”
Émission hebdomadaire installée au Divan du monde, elle est aussi partie quelquefois en tournée respirer l’air musical d’une région.
Francofolies : La Rochelle en 1985, Montréal en 1989 et Spa en 1994
En 1985 naissent Les Francofolies.
“Pour les Francofolies, mon seul critère, c’est ce que j’appelle les gens qui paient comptant; qui devant un public, arrivent à mettre de la rage, de la sueur, de l’émotion! C’est ce qui fait que le public vibre à un moment donné”.
Des Francofolies auront lieu en 1989 à Montréal, en 1994 à Spa en Belgique.
Même si Jean-Louis Foulquier a passé la main son œuvre demeure. Il reste très attaché à la chanson même si le cinéma et la télévision semblent s’emparer de son personnage.
Deux émissions Pollen au Festival Dimey
Pollen … Ainsi depuis longtemps que Jean-Louis Foulquier affirmait son amitié à Bernard Dimey, il se devait de venir au festival Bernard Dimey de Nogent ville natale du poète. C’est ce que je pensais.
Toujours à la recherche de témoignages de personnes avec lesquelles Bernard Dimey avait travaillé, j’en parlais à Annie Roquis-Millet, la présidente de l’association Bernard Dimey et cofondatrice du festival éponyme que rien n’arrête.
Je lui ai parlé de Jean-Louis Foulquier et Bernard Dimey “Bernard Dimey ma conscience” et comme on aime que les actes suivent les paroles.
Nous nous sommes mis à rêver : d’abord recueillir son témoignage puis pourquoi pas un “Pollen” enregistré au festival ?
Qu’à cela ne tienne, nous allons à France Inter. Connaissant un peu la grande Maison ronde, nous prenons rendez-vous.
C’est Pauline Chauvet sa fidèle et précieuse collaboratrice qui nous reçoit. Jean-Louis Foulquier doit revenir de Nice, il est en retard. Après lui avoir raconté notre odyssée, Pauline est étonnée de notre passion, de notre force de conviction, de notre honnêteté et du travail qu’on accomplit par rapport à ce poète.
Elle va bien sûr en parler à Jean-Louis, car elle est favorable à notre requête. En redescendant, dans le couloir on croise Jean-Louis Foulquier avec sa casquette, qui rentrait.
Je l’interpelle : “Bonjour Jean-Louis; voilà je me présente….et Annie…On vient de rencontrer Pauline…. Très bien nous répond-il, l’air fatigué je vous recontacte. Nous quittons la Maison de la Radio le cœur gai !
“Jean-Louis m’a demandé de l’emmener sur les traces du poète, il est passé acheter des fleurs et nous sommes allés au cimetière”
Et le miracle s’est produit, Annie a eu des contacts avec Pauline, et Jean-Louis a décidé de s’installer à Nogent le 10 mai 2006, non pour un, mais deux directs de Pollen, l’apothéose!
Au préalable, on se rend en avril à Paris pour rencontrer Jean-Louis Foulquier dans l’optique du festival, on emmène Jean-Noël Dubois du Journal de Haute-Marne: Nono, passionné de chansons francophones, fidèle du festival.
France 3 Champagne-Ardenne délègue une voiture et va filmer. Rendez-vous au Nazir, le bistrot ou Jean-Louis Foulquier rencontrait Bernard Dimey.
Il y avait Dominique Dimey; on a marché sur les pas du poète, rue Germain Pilon, sa dernière demeure, puis au Lux-bar rue Lepic, rencontré Michel Célie et finir par un repas rue Lepic. Quelle journée!
Le jeudi 27 avril, Jean-Louis Foulquier est à la Une du Journal de Haute-Marne et en page Nono nous livre son entretien.
Le 5 mai, début du festival, c’est France 3 qui met au journal cette rencontre de Montmartre.
Et le 9 mai Jean-Louis Foulquier débarque avec son équipe, les cars régie, logistique, s’installent à côté de la salle (le public peut visiter).
Jean-Louis et Pauline ont compris ce qui se passait ici, notre combat pour faire connaître et reconnaître “Nanard”. Tous très sympas qui ont pris la température du festival et calé la soirée du 10.
Jean-Louis m’a demandé de l’emmener sur les traces du poète, il est passé acheter des fleurs et nous sommes allés au cimetière; c’était émouvant !
10 mai 2006. Enregistrement de Pollen avec Dominique Dimey, fille de Bernard Dimey, et Philippe Savouret
“Bonsoir Nogent, bonsoir Bernard !”
10 mai 20h, le célèbre générique de Pollen, “Bonsoir Nogent, bonsoir Bernard !”.
C’est rare que l’émission soit décentralisée, c’est un cadeau extraordinaire que le public haut-marnais, une fois de plus n’a pas saisi.
On aurait du refuser du monde, c’est ce que l’équipe de Pollen craignait, hélas la salle ne fut pas pleine. Jean-Louis n’a pas cessé de soutenir notre action durant l’émission, véritable porte parole pour le festival, pour Nogent et la Haute-Marne.
Deux heures enregistrées sous les conditions du direct car diffusées le vendredi; elles le seront fin mai et en juin :
- La première avec Mon côté Punk, Jacques Yvart, Jean-Sébastien Bressy et Steve Normandin qui va devenir la coqueluche du festival. C’était aussi un festival spécial francophonie avec nos amis québécois et Elizabeth Gagnon de Radio Canada qui avait consacré 10 heures à Bernard Dimey. Elle consacrera une page sur le festival dans Chorus, la revue de référence lamentablement disparue.
- La seconde avec Gérard Morel, Romain Didier et Agnès Bihl.
J’eus le bonheur de pouvoir m’exprimer et parler de cette passion pour Dimey sur les ondes de Pollen, bonheur suprême (merci Annie) ! Le plus beau jour de ma vie !?
Ce fut un moment émouvant et super avec une équipe formidable coordonnée par l’indispensable Pauline.
En 3e mi-temps chère à Jean-Louis Foulquier mais dans le rugby, nous nous retrouvions avec le public pour partager le gâteau symbolisant les 25 ans de la disparition du poète.
2006. Jean-Louis Foulquier témoigne au Nazir, en compagnie de Dominique Dimey, Annie Roquis-Millet et Jean-Noël Dubois
“Jean-Louis Foulquier fait partie des fidèles de Dimey qui ne nous ont pas déçu”
Depuis j’ai rencontré une fois Jean Louis Foulquier. Il m’avait dit : “Si tu vas à La Rochelle appelle-moi”.
Et puis Pollen s’est arrêtée, Jean-Louis à la retraite s’est consacré au cinéma; on l’a vu dans plusieurs films à la télévision.
Alors que pas mal d’artistes ou personnalités médiatiques ne mettent pas en pratique les discours qu’ils tiennent comme Salvador, Aznavour… D’autres sont égaux à eux-mêmes comme Gilles Vigneault, Ferrat, Michou…
Jean-Louis Foulquier fait partie des fidèles de Dimey qui ne nous ont pas déçus.
Il vient, trop tôt, d’aller rejoindre Nanard son pote de la nuit. Merci Monsieur Foulquier !
TEXTE PHILIPPE SAVOURET
PHOTOS COLLECTION MEDIATHEQUE BERNARD DIMEY
Affiche de l’édition 2013
Site de la médiathèque
http://www.litterature-lieux.com/fiche-site-232.htm
Site de l’association Bernard Dimey présidée par Yves Amour