Juste avant que septembre ne se termine, un mot sur un grand écrivain alsacien passé aux oubliettes : le romancier et poète Alfred Kern (1919-2001), disparu voici 20 ans, le 12 septembre.
C’est en 1960 qu’il est révélé au grand public … au niveau national avec le Prix Renaudot qui lui est remis pour un roman lu récemment : « LE BONHEUR FRAGILE » paru dans la Collection Blanche chez Gallimard.
Une histoire poignante aux multiples rebondissements … le destin mouvementé du narrateur, entre camp soviétique comme Malgré-Nous et envie/besoin de s’affirmer comme peintre dans le Paris de l’après-guerre… De quoi rappeler la vie du peintre Camille Claus (1920 – 2005), un de ses proches amis.
Alfred Kern et son épouse Halina ont passé les dernières années de leur vie à Haslach, dans la vallée de Munster.
C’est là que Michel Fuchs – poète, musicien, chanteur – l’a rencontré à plusieurs reprises : des rencontres enracinées dans une belle amitié marquée par plusieurs heures d’enregistrement en vue d’une biographie. Soit 11 cassettes enregistrées entre le 8 avril et le 18 novembre 2000.
D’une première rencontre au Salon du Livre de Colmar en 1995 se développera une amitié ponctuée par tant de discussions à quatre voix : Alfred, Halina, Michel et Brigitte.
“DANS LA VERRIÈRE, AVEC LE HOHNECK EN TOILE DE FOND”
« Nos visites furent régulières à Haslach, au-dessus de Munster. Dans la verrière, avec le Hohneck pour toile de fond, Alfred se montrait volubile ; Halina encore davantage. Au fil des conversations nous nous rendions compte que nous avions la même approche des choses, la même philosophie, et que nous avions des goûts communs.
Ainsi j’appris rapidement qu’Alfred appréciait mon ami Jean Dentinger et ressentait en revanche, comme moi, une distance envers d’autres gens qui se prenaient très au sérieux. C’était un régal de découvrir au fur et à mesure de telles connivences.
Brigitte et moi emportions nos guitares pour les distraire avec nos chansons. Nous ne pouvions guère leur offrir davantage en échange de toutes ces histoires extraordinaires qu’ils nous racontaient. Leur vie, tout simplement”.
Dès la première discussion, le romancier se confie sans hésitation : “Sitôt l’appareil en marche, Alfred, transcendé, se mit à parler avec verve, avec brio, ne s’interrompant que le temps de retourner la cassette au bout de quarante-cinq minutes. Il en avait des choses à dire. Après une heure et demie, une fois la bande pleine, il dit simplement : “Bon, ça suffit pour aujourd’hui”.
Assurément un formidable témoignage pour lequel Michel Fuchs a cherché en vain un éditeur en Alsace et ailleurs. Aucune réponse positive au national du côté de chez Gallimard où Kern avait publié plusieurs romans, et hélas rien non plus au niveau régional.
Bien décidé à publier son manuscrit, Michel Fuchs finira par opter pour l’autoédition. Le livre de 190 pages intitulé « ALFRED KERN M’A RACONTÉ » sortira en 2011, soit dix ans après le décès de l’écrivain.
“UN MONUMENT DE LA LITTÉRATURE ALSACIENNE”
La dernière cassette sera enregistrée le 18 novembre 2000.
« Il me restait de nombreuses questions à lui poser, des précisions à lui demander. Un jour, par exemple, Halina lui suggéra de parler de ses diplômes en théologie, de ses licences de philosophie et d’allemand, de son doctorat en histoire. Il botta en touche en disant qu’il avait aussi une licence de saut en longueur. Pourtant j’espérais bien encore aborder des périodes qu’il n’avait pas évoquées mais Alfred s’affaiblissait inexorablement.
Les fois suivantes, j’ai trouvé indécent de sortir encore le magnétophone. Nos conversations redevenaient ce qu’elles avaient été au début. Moins virevoltantes cependant, contenant de longues pauses silencieuses. Avec la profondeur de l’amitié en plus. Il sentait la fin inéluctable. Un jour il me dit que lorsque j’aurai fini ce livre, il ne serait plus là pour le voir. Ça, je ne pouvais pas l’imaginer, je croyais Alfred immortel ».
Pas la peine de vous en dire plus sur cet écrivain que je n’ai pas eu la chance de connaître. Vous en saurez plus sur sa vie et son œuvre sur wikipédia et nombre d’autres sites littéraires.
De quoi vous donner peut-être envie de (re)lire Alfred Kern… ou même le livre de Michel Fuchs (michefuchs@yahoo.fr)
sur celui qu’il qualifie de “monument de la littérature alsacienne. Mais c’était aussi un esprit universel dont la curiosité ne rencontrait aucune limite”
Albert Weber