Pionnière de la chanson acadienne à l’instar d’Angèle Arsenault, Édith Butler est assurément une des auteures-compositrices-interprètes les plus importantes de la chanson francophone d’Amérique du Nord.
Après plusieurs années de silence discographique, elle offre avec les 14 titres de «Le retour» l’enregistrement le plus personnel, le plus intense et le plus émouvant aussi de sa carrière marqué par 25 albums.
Coup de projecteur sur un album unique à tous les sens du terme et sur un destin hors du commun.
“Le retour” c’est un cri d’amour et d’espoir, de rage de vivre et de leçon d’optimisme qu’offre cette chanteuse, une des (très) rares artistes a avoir été honorée (en juillet 2009) par un timbre à son effigie par la Société Canadienne des Postes dans le cadre de sa série destinée aux “artistes canadiens de la chanson de renom ayant atteint une reconnaissance internationale”.
Lise Aubut- Édith Butler : l’intense complicité
Ici pas de faux-semblant ; « Je suis resté moi-même, je ne me suis pas créé de personnage au départ de ma carrière. Je suis sur scène comme dans la vie : naturelle, simple, spontanée, directe ». Tels sont les repères de celle qui a immortalisé son village de Paquetville dans une inoubliable chanson intronisée au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens à Toronto le 28 janvier 2007.
Lise Aubut en a écrit les paroles, et la musique a été composée par Edith Butler. Sur internet on peut même trouver une version de Paquetville chantée par Edith Butler accompagnée par Nicole Croisille et Catherine Lara.
Comme raconté sur le site de la chanteuse, « Paquetville était, dès le départ, une célébration. C’était en effet pour souligner le Centenaire de sa fondation par le curé Paquet que l’idée d’écrire une chanson sur le village natal d’Édith Butler est née.
Les habitants de Paquetville sont fiers de leur village, de ses forêts d’érables sucrés, de ses élevages bovins, de ses rivières, de sa proximité avec la mer, de ses grandes terres fertiles, de ses traditions, de son histoire, de ses chansons, de son accent chantant et de ses enfants un peu tous cousins quand on y regarde de plus près ».
La collaboration musicale entre les deux femmes remonte à 1973, date à laquelle Lise Aubut devient l’impresario d’Edith Butler. Lise Aubut aura été une des premières créatrices, avec Édith Butler à faire connaître la culture acadienne au Canada et dans le monde francophone. De cette complicité sont nées plus de 150 chansons.
« C’est ainsi que je vis » résulte d’ailleurs de la complicité entre Lise et Edith :
« C’est ainsi que je vis
Au milieu des galaxies
Je m’émerveille encore
De tout ce qu’il a dehors
C’est ainsi que je t’aime
Au meilleur de moi-même
Rien qu’à te regarder
Instant d’éternité »
“Et ce cancer qui frappe en pleine apothéose/Aimer la vie quand même”
Quand on prend le temps d’écouter vraiment les paroles des chansons du nouvel album d’Édith, on a pénètre vraiment – dans plusieurs d’entre elles – dans l’intimité de l’artiste. En l’occurrence dans ce qui forge sa personnalité, le regard lucide porté sur son passé, sa vie entre superbes réussites professionnelles, doutes et remises en question permanente.
Sans parler de ce cancer du sein dont elle ne fait aucun mystère ni dans les médias ni dans la chanson majeure du CD : “Aimer la vie » (texte Luc Plamondon, musique Edith Butler).
“Aimer la vie
Est-il permis d’aimer la vie comme je l’aime
Quand tout autour la terre flambe et le monde explose
Et ce cancer qui frappe en pleine apothéose
Aimer la vie quand même”
“Avoir été atteinte du cancer du sein m’a donné un nouvel élan de vie et de créativité et appris à apprécier chacun des moments qui me sont donnés”
La Coalition Priorité Cancer au Québec a d’ailleurs annoncé qu’Edith Butler est la marraine de la sixième conférence nationale pour vaincre le cancer organisée les 3 et 4 avril 2014 à Montréal. D’où cette déclaration de l’artiste :
“C’est avec fierté que j’ai accepté d’être la marraine de la 6e Conférence nationale pour vaincre le cancer. Nous sommes nombreux à avoir vécu ou à vivre encore avec cette maladie. En ce qui me concerne, j’aimerais vous dire qu’avoir été atteinte du cancer du sein m’a donné un nouvel élan de vie et de créativité et cela m’a appris à apprécier chacun des moments qui me sont donnés.
Je veux partager avec vous tous à quel point, il est important d’aimer la vie. Qui que l’on soit, où que l’on soit, il y a toujours un être, un animal ou une fleur à aimer autour de nous. Et c’est guérissant. Rallions-nous pour vaincre ensemble cette maladie et d’ici là, apprendre à vivre avec elle”.
La Coalition Priorité Cancer au Québec a été fondée en 2001 pour “donner une voix, soutenir et défendre les personnes touchées par le cancer (les patients, les survivants, les proches aidants et leurs familles), pour appuyer les organismes communautaires et les professionnels de la santé œuvrant en cancer et pour renforcer l’organisation de la lutte contre le cancer”. Elle rassemble à ce jour près de 1,5 million de personnes.
“Des heures au téléphone avec le métier/ Pour leur prouver que je peux encore chanter”
En guise de conclusion à son album Édith offre d’ailleurs une brève version acoustique d’ “Aimer la vie” : comme pour rappeler encore une fois le fil conducteur de l’ensemble de ces 14 titres. Plamondon signe d’ailleurs les paroles de deux autres chansons : “La fille qui sort de sa coquille” et “Su’ quel pied danser”.
Sans passer en revue chacune des 14 chansons, mention spéciale à “J’te dis merci” aux paroles et à la musique signées Butler. L’artiste s’adresse à Lise Aubut. D’où notamment ces quatre phrases qui en disent long sur leur complicité et sur l’obstination dont la chanteuse doit faire preuve dans ce milieu de la chanson où … l’on ne se fait pas vraiment de cadeau :
« Des heures à griffonner sur des bouts d’papier
Les mots qui conviendraient à m’exprimer
Des heures au téléphone avec le métier
Pour leur prouver que je peux encore chanter »
Sur “La rue Dufferin” avec Marie-Jo Thério …
L’active participation de Marie-Jo Thério et Lisa LeBlanc à deux chansons enracine ce CD dans l’Histoire de la chanson acadienne au sens fort du terme.
En réunissant trois générations d’auteures-compositrices-interprètes, “Le retour” ne marque pas seulement … le retour d’Edith Butler à la une de l’actualité.
Le choix des chansons synonymes d’authenticité et la collaboration de professionnels majeurs québécois tels Luc Plamondon et Yves Desrosiers apportent un incontestable plus à cet album.
Bien qu’établie à Montréal depuis longtemps, Édith Butler n’a en rien perdu son accent acadien et encore moins ses racines. En août 2004, lors du concert final du Congrès mondial acadien auquel j’ai eu la chance d’assister, à Halifax, Édith Butler et Marie-Jo Thério se sont retrouvées face à des milliers de spectateurs enthousiastes pour chanter “Rue Dufferin”.
Cette chanson reprise par nombre d’artistes et groupes acadiens est non seulement un hymne à une rue de Moncton mais aussi un vibrant plaidoyer pour la francophonie : pas question de se laisser intimider par les “vieilles anglaises”.
Sur un texte de Roland Gauvin, un des fondateurs du groupe mythique 1755, le poète Gérald LeBlanc a composé un texte auquel Édith Butler et Marie-Jo Thério insufflent un bel entrain dans la première chanson du CD “Le retour”.
… et sur la Sainte-Catherine avec Lisa LeBlanc
Dans un registre différent, c’est avec Lisa LeBlanc, une des plus efficaces ambassadrices de la « nouvelle chanson acadienne », qu’Édith partage le micro pour “Complainte pour Sainte-Catherine” sur des paroles de Philippe Tatarcheff et une musique d’Anna McGarrigle.
Lisa LeBlanc accompagne la chanson avec son banjo, ajoutant un instrument de plus dans la liste déjà bien fournie par les musiciens : percussions, guitares, basse et contrebasse, claviers, cordes, etc.
“J’y ai mis mes trippes et tout mon cœur”
« J’y ai mis mes trippes et tout mon cœur. Ça pris 50 ans pour revenir à qui j’étais au départ ! » m’écrivait récemment Édith Butler dans un courriel.
Une affirmation qui n’a rien à voir avec un plan de communication ou un communiqué de presse. Un message dans lequel elle m’évoquait aussi sa passion de bâtir, de travailler de ses mains : “J’ai bâti, de mes propres mains, maison, garage, gloriette, maisonnette, chapelle etc. Mes ancêtres étaient des charpentiers. Donc, je le suis aussi! Entre les tournées, je bâtis !”
Sur son site elle confie d’ailleurs : “Dans ma vie quotidienne, j’aime construire. Sur la grande terre que j’habite, j’ai bâti de mes mains une chapelle, un garage, une maison d’écrivain, une grange, une maison à canard !
J’aime les animaux qui me rendent visite. J’aime marcher dans la forêt, faire la cuisine, boire de bons vins avec mes amis, « pitonner » sur mon ordinateur, surfer sur l’Internet et partager des beaux moments avec mes chats”.
“N’oublies pas ces enfants que je n’ai pas eus”
Entre rupture amoureuse (“Un petit mot”) et attente du retour de l’être aimé (“N’oublie pas ton violon”), amour intense (“Et moi je t’aime depuis toujours”) et rage de vivre (“La fille qui sort de sa coquille”) Edith Butler décline toute une série d’émotions et de sensations, de réflexions et de tranches de vie aussi. De confidences aussi quand on prend le temps de bien écouter les textes dont “Dessine-moi” :
“Dessi’n moi le jardin que je n’ai pas eu
Dessines-moi la mer que je ne vois plus
N’oublies pas ces enfants que je n’ai pas eus
N’oublie pas le temps et ceux que j’ai perdus
Ni mon cheval fou courant sous les pommiers doux »
Avec en prime une « Chanson pour mon père » à vous donner le frisson :
“Souvent mon père les jours où le cœur flanche
Nous racontait que la vie s’endimanche
Dès qu’on oublie, pardonne ou fait confiance
Et qu’on revient à ses appartenances”
Faire sourire et rire, danser et réfléchir aussi : ainsi s’affirme cette attachante artiste dont “Le retour” est un formidable cadeau. “Un album plus lent, plus profond, plus sage ” selon Édith Butler.
De quoi secouer les idées noires, les p’tits bobos et les grands chagrins de la vie car Édith ne se contente pas de chanter l’optimisme, elle le vit. Sans se complaire dans un personnage, mais en étant tout simplement fidèle à ses racines synonyme d’authenticité. Bravo Madame !
Texte Albert WEBER
Photos Collection Édith Butler
Vidéo de l’enregistrement de l’album sur le site de Tandem.mu
Un album à trouver sur le site de Distribution Plages