Mon cher Patrick,
Tu sais, c’est la dernière fois que je t’écris. Point final de près d’un quart de siècle d’échanges de courriels, lettres, cartes postales De conversations téléphoniques en direct de Saint-Pierre ou d’une de tes escales en métropole, dans ta famille dans le Nord ou chez ta sœur en région parisienne.
Désolé de n’avoir pas réagi plus tôt, je n’en avais pas envie. Fallait d’abord encaisser le choc de ta disparition, accepter ou tenter d’accepter l’inacceptable.
Je sais bien qu’on est dans une époque où tout va vite, trop vite même. “L’actualité n’attend pas”, comme je l’ai souvent lancé à mes collègues des Dernières Nouvelles d’Alsace.
Donc, pour être dans les clous, il aurait fallu que je m’exprime sans tarder. A chaud, à temps, dans l’urgence quoi, à l’instar des centaines de réactions que j’ai pris le temps de découvrir sur internet, notamment sur Facebook. Messages, commentaires, photos, smileys tristes … démultipliés à l’extrême, partagés et encore et encore.
Tu vois, je n’avais absolument pas le cœur à “témoigner”, tu me comprends j’espère. Ne m’en veux pas, je n’ai pas envie d’évoquer ta mémoire à la télé, au journal de Saint-Pierre et Miquelon la 1ère.
J’ai décliné l’invitation d’un de tes amis, le journaliste Aldric Lahiton qui m’a écrit : “Notre communauté a perdu l’un de ses amoureux de la chanson française, et personnellement, un collègue en or. Nous allons produire un sujet hommage dans notre édition du JT de ce soir, et nous souhaitons recueillir des témoignages de ses proches dans l’archipel et en dehors… Je me tourne naturellement vers vous, savoir si vous seriez d’accord pour participer à un entretien sur Zoom”.
Au lendemain de ton suicide, le journal de 20 h a été présenté par Claudio Arthur.
Lui aussi, on le sentait ému. Il a parlé de toi comme tu le méritais, et le reportage était à la hauteur de ce que tu as vécu et mené à bien depuis plus de 30 ans sur l’archipel. S’y sont ajoutés les témoignages de Michel Le Carduner et Roselle Billy, émus tous les deux.
Autant de précieuses minutes d’un journal télévisé enraciné dans tes passions : curling, sports de glace, faune et flore, photo, et bien sûr la chanson. “Érudition, humour, impertinence” comme ça a été dit dans le reportage qui a bien mis en valeur ton engagement en faveur de la chanson française et francophone.
Cet inoubliable journal télé m’a donné envie de revoir, encore une fois, la vidéo d’une émission radio. Celle où tu as parlé en direct au micro de ta station, lundi 11 janvier 2016. Tu y avais été l’invité de 10h30 de “Brume de Capelans”. A un moment tu y lances un souhait : gagner au loto et ainsi pouvoir organiser un “Festival Jambon Beurre” avec les artistes et groupes de ton choix…
Cette émission , elle a été diffusée pour les dix ans de ton cher “Jambon Beurre” totalement dédié à cette chanson qui nous fait vibrer. Celle qui a des tripes, du cœur, du bon sens. Et beaucoup d’humour aussi comme en témoignent tant de fous-rires partagés à l’antenne avec Roselle Billy, Myriam Lelorieux et Hélène Pannier.
Au fil des saisons, elles ont co-animé ce programme avec toi. D’où cette photo prise le 16 janvier 2016. Elle a été publiée dans le 1er numéro du trimestriel Hexagone avec la légende suivante : “Pour les 10 ans de “Jambon Beurre”, Patrick Boez est entouré des trois co-animatrices successives de l’émission. Au centre Roselle Billy de la 1ère émission le 19 janvier 2006 à février 2007; à droite Myriam Lelorieux de février 2007 à juin 2010; à gauche Hélène Pannier depuis septembre 2010″.
Oui Patrick tu te rends compte ! Près de 600 “Jambon-Beurre” toujours disponibles sur ce site.
Tout y est depuis 2005 et jusqu’à la dernière émission, celle diffusée le 30 janvier 2021 avec comme “album de la semaine” Léonor Bolcatto et ses “Allumeuses d’étoile”. Et ton ultime “Jambon Beurre” s’est terminé par une série de chansons célébrant toutes un mot : Merci. Il y a eu Coko, Céline Brémond, le groupe Fenouil et les fines herbes, Marc Vincent, Lareplik et enfin une dernière chanson : Bill Deraime pour un titre qui prend aujourd’hui une résonance toute particulière évidemment : “Merci pour tout”.
Je me souviens combien tu avais été surpris que le premier numéro de Hexagone, le trimestriel te consacrent autant de place pour les 10 ans de “Jambon Beurre” : un entretien de 7 pages signé Michel Gallas avec des photos de David Desremeaux.
“Un entretien alerte avec le sympathique Patrick Boez, animateur de l’émission « Jambon-Beurre », sur Radio Saint-Pierre-et-Miquelon, entretien qu’on espère être le premier d’une série consacrée à ces émissions chanson, plus nombreuses qu’on le pense, que les publications de naguère comme les blogs d’aujourd’hui ont toujours superbement ignorées” avait écrit Floréal Melgar sur le site Crapauds et rossignols
Tu te souviens de notre première rencontre ?
C’était en juillet 1997, au Centre culturel et sportif de Saint-Pierre.
J’y suis pour l’inauguration des Franco-Marines, formidable festival monté par Henri et Marie-Andrée Lafitte. Un des nombreux festivals vécus ensemble sur l’archipel.
Cette année-là, ce n’est pas mon premier séjour sur l’archipel. Mais j’y suis revenu avec le soutien de l’Agence régionale du Tourisme alors dirigé par Jean-Hugues Detcheverry. Avec en vue en vue d’un article pour “Chorus les Cahiers de la Chanson”, le trimestriel de Fred et Mauricette Hidalgo.
Les discours sont terminés, et voilà qu’un gars souriant et frisé s’approche de moi, me dit qu’il est un des abonnés de Chorus sur l’archipel et on se met à discuter.
Et c’est parti pour près d’un quart de siècle de complicité sans orages. Je me souviens combien tu as été surpris par la rapidité de publication du dossier de trois pages dans le numéro d’automne de Chorus : “Franco-Marines, 1ère Un festival brise-glace”. Le titre avait d’ailleurs fait grincer quelques dents à Saint-Pierre et à Miquelon, il faisait allusion au groupe Brise Glace Orchestra …
Depuis juillet 1997, on en fait des milliers de kilomètres pour nous retrouver au gré des événements : Saint-Pierre, et évidemment aussi Miquelon; Paris; Montréal; Nogent en Haute-Marne; Strasbourg aussi …
Henri Lafitte aura été un des premiers à réagir à ton décès, Patrick.
“Je suis là, soudain, devant mon clavier et je pense à la tristesse qui étreint d’ores et déjà tous ceux qui ont pu mesurer tout ce qu’il apportait à l’archipel, par sa gentillesse, son implication dans ce qui permet de nous dépasser, par la beauté de la musique, d’un oiseau passereau, d’un paysage de plénitude, tant il aimait à la partager” confie l’auteur-compositeur-interprète de l’archipel sur son blog mathurin.com sous le titre “Hommage à toi, Patrick Boez”.
Ton suicide survenu quelques jours après ses 60 ans, nous a ébranlés …. Henri et moi avons aussitôt pensé à un autre compagnon de route, le musicien Jean-Guy Pannier . Lui aussi, avait décidé de s’en aller, à 54 ans en avril 2005.
Tu sais Patrick, un autre ami de l’archipel m’a dit de toi : “Il ne doit pas avoir un Miquelonnais ou Saint-Pierrais qui ne connaissait pas le météorologue, le président de la ligue des sports de glace, le président du curling club, le photographe hors pair et…. l’animateur de l’émission “Jambon beurre”. La population, dans son ensemble a été choquée d’apprendre sa disparition, dans des conditions qui nous laissent sans voix. J’avais de temps à autre l’occasion de le consulter pour lui demander une information sur un oiseau photographié, il répondait toujours rapidement passionné qu’il était par tout ce qui touchait à l’ornithologie”.
Et puis, dans le flot de souvenirs dont je n’évoque que quelques facettes ici, il y a évidemment ton séjour en Alsace, avec Sophie. Avec notamment ce fraternel repas organisé dans un resto alsacien, “Aux Armes de Strasbourg”, Place Gutenberg, à deux pas de la cathédrale.
Quelles belles retrouvailles avec Guy Zwinger, animateur de “Je viens vous voir” sur RNC Nancy, et l’auteur-compositeur-interprète et Jean-Luc Kockler, tous deux venus spécialement de Lorraine pour cette rencontre à laquelle participa aussi Isabelle Sire (chargée de diffusion/ production, Rose Macadam).
Et puis il y a eu la Choucrouterie ! Depuis le temps que je t’en avais parlé ! On y a diné, puis on a passé une soirée inoubliable avec la revue satirique de Roger Siffer et ses complices.
On était en premier rang tous les trois, toi, Sophie et moi. Et le comédien-humoriste Guy Riss a vite remarqué que Sophie n’en pouvait plus de rire quand elle le regardait en train de parodier le maire de Colmar dans son personnage de “Chilibébert” . Durant le spectacle, Guy s’est adressé à Sophie en lui demandait si elle tenait le coup et, évidemment, elle riait encore plus, et toi aussi.
Quelques mois plus tard, en parlant de vous deux à Guy, il m’a dédicacé un mot en alsacien que je vous ai envoyé. On s’était évidemment promis tous les trois de retourner à la Chouc à votre prochain passage à Strasbourg. D’ailleurs à chaque fois que je postais sur Facebook une info sur la Chouc tu y réagissais, et Sophie aussi.
Strasbourg aura été une étape inoubliable pour toi. Pas seulement pour la Choucrouterie mais aussi la soirée des attentats de Strasbourg, le 11 décembre 2018.
Ce jour-là, en fin d’après-midi, je suis d’abord allé à la Brasserie Saint-Michel, pour une rencontre poésie animée par Sido Gal. Puis nous nous sommes retrouvés au 1er étage de la Brasserie Kohler Rhem (à présent hélas fermée définitivement), au cœur de la ville, à la place Kleber et son sapin. On dinait tranquillement, et tout à coup l’ambiance a changé. Sophie voulait sortir fumer une cigarette, mais le serveur lui a refusé d’aller prendre l’air.
Et on s’est retrouvé tous les trois, à attendre la fin de la soirée, suspendus aux sites d’infos de nos portables, avant de pouvoir quitter les lieux, via un circuit indiqué par les forces de l’ordre.
Le lendemain, c’en était fini du Marché de Noël que vous vouliez tant prendre le temps de découvrir …
Bien sûr quand je pense à toi et à l’archipel surgissent également tant de souvenirs avec nos amis d’Alcaz, Jean-Yves et Viviane Cayol. On en a vécu des choses ensemble à Saint-Pierre, et aussi à Miquelon.
Tu te souviens de ta surprise faite à Jean-Yves lors d’un diner chez toi ?
Dans ton incroyable collection d’enregistrements se trouvait un des premiers 45 Tours de Jean-Yves. Je crois bien celui de “Neige neige tombe” sorti en 1973, avec sur la pochette la tête d’un jeune chanteur chevelu aux allures de Francis Lalanne débutant. Tu me montres le disque en précisant à voix basse : “On va le mettre sans rien dire, et on va regarder la réaction de Jean-Yves” … Stupéfaction totale évidemment de l’intéressé et toi .. un large sourire, heureux comme si tu lui avais joué une bonne farce. “Ça alors, c’est pas possible ! Je retrouve un de mes premiers 45 Tours à Saint-Pierre et Miquelon ! J’y crois pas ! Moi même je n’ai plus ce disque” nous avait confié Jean-Yves.
Avec Jean-Yves et Viviane, nous avons aussi été à Miquelon pour un concert prévu chez Péco je crois bien. Là aussi tu étais heureux de nous emmener dans la nature, de nous expliquer la faune, de prendre des photos, de nous parler faune et flore aussi.
Tu sais, j’ai aussi décliné la proposition de Michel Kemper. Pas envie de réagir par écrit en écrivant un texte sur toi. J’ai préféré lui parler de toi avec émotion au téléphone et lui envoyer quelques photos.
Il en a publié deux dont l’une prise devant un des panneaux de Miquelon avec nos amis Viviane Cayol et Jean-Yves Liévaux. Michel Kemper t’a rendu hommage, dans un beau texte sobrement intitulé Patrick Boez : 1961-2021.
Et d’y préciser notamment ; “Recevoir un paquet orné de timbres de la Poste miquelonaise avec des photos d’oiseaux prises par lui, ça donnait de suite une once de plus-value à l’envoi… Il savait tout des oiseaux migrateurs, autant que des oiseaux rares de la chanson française, du dernier Michèle Bernard, du prochain Frasiak… tout ! La chanson – et les chanteurs – le connaissaient, tous l’appréciaient. Notre diable d’homme animait depuis des lustres une formidable émission radiophonique sur la chanson, Jambon-Beurre : il est à la hauteur de près de six cents émissions !” y écrit notamment Michel Kemper.
Bon mon ami, il est bientôt temps de te laisser, en espérant que ton irremplaçable site réunissant près de 600 émissions ne soit pas jeté aux oubliettes.
Ah oui, j’espère que ton site “Jambon-Beurre” tellement bien détaillé – sommaire, artistes, chansons, pochettes d’albums – va te survivre. De temps en temps, au gré des émissions, tu aimais bien m’y faire un clin d’oeil, saluant un “auditeur alsacien faisant des bulles dans son bain“. Je t’avais dit un jour que j’écoutais souvent “Jambon Beurre” en train de prendre un bain en Alsace. Merci pour tous les talents que je t’ai recommandés et que tu as programmés dans une de tes émissions.
J’espère aussi qu’un des innombrables artistes et groupes diffusés dans “Jambon Beurre” pensera à toi en composant une chanson …
J’espère enfin – et ce serait rendre honneur à son engagement sans failles au service de la chanson – qu’un jour il existera un Prix Patrick Boez. Et pourquoi pas ?
J’ai pris un peu de temps avant de pouvoir t’écrire. Impossible de t’écrire “Puteaux” : c’était une de nos blagues récurrentes, depuis des années. Et ça nous incitait à parler de Jean-Pierre Laurent, chanteur et joueur de Barbarie. On passait du bon temps avec lui lors d’un festival Bernard Dimey à Nogent. Et voilà qu’un matin, il nous dit devoir s’absenter un jour, le temps d’un aller-retour pour chanter à Puteaux, en région parisienne.
Depuis, entre nous, quand on se parlait ou quand on s’écrivait, on ne disait pas “plutôt” mais “Puteaux”. Oui, on savait bien que c’était idiot mais ça nous faisait rire. Tu sais, Jean-Pierre était ému en ce mardi 4 mai quand nous nous avons parlé de toi, et de ses chansons, dont des reprises de Mouloudji programmées dans “Jambon-Beurre”.
C’est vrai qu’on aimait bien les blagues idiotes. Comme cette revue de l’Équipement d’avril 2007 reçue un jour vu qu’elle contenait un article sur l’archipel. Quelques semaines plus tard, je te l’ai renvoyé accompagné d’un post-it :”Pas question de priver de la revue de la DDE, tu y tiens trop”. Pas étonnant que quelques mois plus tard je la retrouve dans ma boite aux lettres accompagné d’un post-it de toi : “Les best-sellers faut les relire de temps en temps !” et ça continuait de la sorte … Et voilà comment cette publication de l’Équipement aura effectué nombre de voyages entre l’Alsace et l’archipel, surchargée de post-it…
Patrick, tu sais, depuis que tu as été retrouvé au pied de la falaise, une chanson de Henri Lafitte prend un sens très particulier.
Je te parle évidemment de “Rêverie au Cap à l’Aigle”, le 22 octobre 1996. C’est un des 10 titres de l’album “Je suis né Outre-Mer” et Henri y chante notamment :
“Des roches ciselées d’un burin subarctique
Sur un fond bleu de vie qu’on voudrait le fixer
Un havre imaginé aux rives atlantiques
Par des mains maions transposées par la divinité
(…)
Du haut de la falaise je guette les moraines
Vont-elles s’animer comme le fit l’oiseau
Je suis au Cap à l’Aigle mon cœur est en haleine
J’aspire à être pierre dans ce coin de tableau”
Voilà mon cher Patrick, je vais bientôt prendre congé de toi. Tu as retrouvé l’ami Marc Robine avec qui nous avons passé des soirées mémorables, jusqu’au cœur de la nuit, avec une poignée d’ami(e)s passionné(e)s de chansons, de bon vin. Et tant de fous-rires aussi jusque sur les dunes entre Miquelon et Langlade, avec Roger Etcheberry … Formidable passionné d’ornithologie comme toi, il nous donnait spontanément en latin le nom de tel oiseau rare qu’il venait d’apercevoir, faisant piler net sa voiture et secouant ses passagers.
Salues Marc de ma part et de Fred Hidalgo, on pense toujours à lui. Et tu donneras le bonjour à ces compagnons de chansons et de musique partis trop tôt : Maurice Segall, Jean-Guy Pannier, Hervé Chevallier, Gerry Boudreau Joseph Moalic, Edouard Bauer/ Fok de la Rue des Dentelles, et d’autres encore.
Il est à présent temps de reprendre “ma place dans le trafic”. Agir comme celles et ceux qui ont réagi à ton suicide sur Facebook avant de reprendre l’inévitable cours de la vie. Va donc falloir recommencer à m’intéresser aux artistes et aux groupes d’Alsace, progresser dans le livre sur la chanson en Alsace dont nous avons parlé plus d’une fois et qui te sera dédié.
Tu ne parlais pas l’alsacien, mais je me rappelle ton émotion, perceptible au micro de “Jambon Beurre”. Hélène Panier t’en avait fait la remarque, et ta réaction l’avait touchée. C’était le 2 juin 2018, juste après la diffusion du Conte alsacien d’Abd Al Malik.
Ce titre, tu l’avais présenté avec enthousiasme : “Un de mes énormes coups de cœur, franchement c’est que du bonheur, j’adore. 3 mn 30 de bonheur avec Gérard Jouannest au piano et Marcel Azzola à l’accordéon C’est que bonheur. Il faut savoir qu’Abd Al Malik est né à Paris et il a grandi en Alsace. Donc on a avoir même un petit peu d’alsacien dans la chanson”.
Texte Albert Weber
Photos et documents David Desremaux, Claude Juliette Fèvre, Patrick Ochs, Henry Tilly, Anne-Marie Siegfriedt, Albert Weber
MONTMARTRE : PATRICK BOEZ SUR LES TRACES DE L’HISTOIRE DE LA CHANSON AVEC JEAN LAPIERRE
FESTIVAL DE NOGENT : EN SOUVENIR DE BERNARD DIMEY
HENRY TILLY : “IL AVAIT UNE CAPACITÉ EXCEPTIONNELLE A SENTIR LE TALENT ET L’AUTHENTICITÉ”
Ce texte de Henry Tilly, originaire de Saint-Pierre et Miquelon, était destiné au mensuel L’Écho des Caps. Mais la publication de la mairie de Saint-Pierre a cessé de paraître en mars après 39 ans d’existence.
“C’est ce matin 4 mai qu’un coup de fil de l’ami Eric Frasiak m’a annoncé l’horrible nouvelle, suivi à quelques minutes par un autre ami commun : Albert WeberR.
Assommés tous trois par cette annonce catastrophique, nous avons fait le même constat qui peut apparaître égoïste, certes, mais qui traduit bien notre désarroi et notre peine profonde : notre esprit s’est soudain vidé de toute autre préoccupation, de toute autre interrogation aussi, de toute autre pensée nécessaire à nos travaux en cours ou nos occupations du moment.
Il faut dire que Patrick, discret comme un chat et parfois même taiseux, n’aurait jamais pu illustrer ce poème de Dimey (un de ses auteurs favoris) : « Quand on n’a rien à dire…et du mal à se taire ». Et pourtant il avait tant de choses à dire mais ne les distillait qu’à bon escient, qu’il s’agisse de photo, domaine dans lequel il excellait : de photo artistique, d’instantané paysager ou d’ambiance ou photo animalière ; d’ornithologie où son point de vue, toujours bien documenté, était écouté et respecté ; et bien sûr de chanson francophone, domaine particulier où s’était forgée notre amitié et où il était reconnu comme « connaisseur ».
Longtemps absent du Territoire, j’ai fait sa connaissance aux « Déferlantes Atlantiques » de 2011 que j’ai eu le plaisir de « chroniquer » pour Albert Weber, découvrant alors, en même temps que Patrick, déjà St-Pierrais adopté, intégré et impliqué, les artistes qui étaient au programme : Eric Frasiak, Govrache, « Les Imposteures », Steve Normandin et quelques autres plus les artistes locaux : Henri Lafitte, D’gé, Dode, Cox &Co, pour les plus réputés, que je connaissais déjà.
Certains de ces artistes « importés », c’était le cas d’Eric Frasiak, peut-être de Govrache, avaient été repérés par Patrick qui, par son excellente émission « Jambon Beurre », connue d’un nombre étonnant d’artistes métropolitains et les tournées de festivals, découvrait et faisait découvrir au public des talents qui pouvaient bien parfois désigner les véritables héritiers de nos « Géants » disparus ; c’est déjà sûr pour certains comme Frasiak.
Mais ça n’est pas le fait du hasard. Patrick avait une capacité exceptionnelle à sentir le talent et l’authenticité parce qu’il avait une très grande capacité d’écoute et de concentration dans l’écoute, et du texte, et de la mélodie, ce qui facilite grandement l’analyse….
Et corollairement, la conclusion. Je ne saurais dire si cette disposition était naturelle ou liée à sa formation mais on a pu constater que dans les différents domaines où il s’est plongé, il n’est jamais resté en superficie. En fait, il était servi en toutes ces activités par un même sens et amour de la poésie et quand il consentait à donner son avis, celui-ci était documenté… Mais pas uniquement technique.
C’était Patrick, tel qu’on l’estimait et qu’on l’aimait et avec ça naturel, souriant, franchement agréable. Il nous manque déjà …Et ce n’est que le début…
Toutes mes condoléances attristées à ses proches et ses amis”