Une récente étude publiée par la banque (française) Natixis indique que la langue française deviendrait la plus parlée au monde vers les années 2050 – c’est après-demain – avec quelque chose comme… 750 millions de locuteurs ! Très vite, le magazine (américain) Forbes s’est empressé de relativiser – avec raison, quand même – l’étude en question.

Bon, même si Forbes a raison, il faut préciser qu’il a repris ces éléments, sans les référencer, de l’excellente revue économique française Challenges qui est toutefois à la culture ce que l’éléphant est au magasin de porcelaine…

Challenge tenait lui-même ces chiffres de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), dont les travaux les plus récents sur le sujet remontent aux années 2009/2010 et qui sont basés essentiellement sur l’évolution démographique prévisible des pays officiellement francophones.

Or dans ces pays, souvent, l’immense majorité de la population ne parle pas la langue de Molière. Alors, certes, au vu de la croissance impressionnante de la population dans certains pays, notamment en Afrique subsaharienne, il y aura certainement beaucoup plus de francophones à la moitié de notre siècle qu’aujourd’hui. Mais de là à dire combien…

Et puis, quand même, passer d’ici à 2050, à peine 35 ans, de 220 millions à 750 millions, ça vous paraît vraisemblable, à vous. Moi, non. Sauf à convertir les lapins à la francophonie…

Le francophone sait lire et écrire 

Laissons-là les lapins, si vous le voulez bien, et… revenons à nos moutons : aujourd’hui, les francophones sont quelque 220 millions, selon l’OIF.

Un francophone, c’est quelqu’un qui a un bon niveau de pratique du français à l’oral comme à l’écrit, toujours selon l’OIF. Et il est vraisemblable que l’avenir de la langue française est en partie entre les mains d’une population africaine en forte croissance démographique.

On peut donc juste rappeler que le français, s’il n’est pas la première langue du monde, se porte plutôt bien, mais que son avenir est aussi entre nos mains à nous. Nous connaissons l’énergie avec laquelle les francophones de toute l’Amérique du nord font vivre leur langue, voire la ressuscitent par endroits.

Nous déplorons hélas que certaines entreprises 100% françaises aient imposé l’anglais comme langue de travail à leurs cadres… (et encore, je pourrais digresser sur la piètre qualité de cette langue imposée qui se limite à peine 600 mots, alors qu’elle en compte pas loin de 20.000 dans sa belle déclinaison shakespearienne), ou encore que le contribuable français finance une chaîne (d’information continue?) en anglais, pâle et pitoyable copie des chaînes anglophones existantes.

Voilà de quoi alimenter les discours pleureurs sur le déclin du français dont on peut quand même croire qu’ils sont faux.

En effet, on n’a jamais autant parlé français que de nos jours, surtout si l’on inclut les gens qui le parlent (que ce soit de façon rudimentaire ou courante) sans savoir l’écrire, et qui ne sont pas comptabilisés comme francophones.

Est-ce un lambeau d’élitisme encore accroché à la langue française ? On a sans doute tort de ne pas considérer comme francophones des gens qui parlent le français sans l’écrire, car ils le portent, eux aussi, et en assurent la diffusion.

D’ailleurs, que je sache, les différences remarquables entre manières de parler l’anglais entre la Grande-Bretagne, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande ou la Jamaïque n’ont jamais empêché quiconque de considérer tous les utilisateurs de cette langue, même ceux qui ne l’écrivent pas comme des anglophones.

De même il ne viendrait à personne l’idée de considérer que les locuteurs du « Schwytzerdütsch » (Suisses allemands) ne sont pas des germanophones ou que les Algériens (qui sont aussi pour beaucoup des francophones) ne sont pas des arabophones au motif que leur langue n’est pas l’arabe littéraire.

Peut-être les francophones font-ils un peu trop la fine bouche devant des expressions du français très populaires ici et là dans le monde.

En effet, un (petit) effort d’attention permet de comprendre la langue française des francophones géographiquement éloignés, et les écrits de ces autres le prouvent : malgré quelques différences et quelques emprunts extérieurs (dont la langue française est coutumière) nous utilisons bien la même langue.

Un de mes amis, créole de La Réunion, me faisait récemment remarquer en écoutant  Louis Michot, chanteur du groupe cajun Lost Bayou Ramblers de Louisiane, que sa langue lui paraissait familière, et qu’il la comprenait assez bien, alors qu’il vit presqu’exactement aux antipodes de Lafayette.               

Les cours ne parlent plus le français, mais…

Je prends cet exemple de la Louisiane, car j’ai l’impression qu’en France, quand on parle des francophones de là-bas aujourd’hui, on en parle un peu comme on parlait des québécois dans les années 1960 (« ils ont un drôle d’accent », « ils empruntent des mots anglais », etc.).

Or, aujourd’hui, on peut dire que l’« accent » québécois n’est même plus un accent étranger en France (qui compte elle-même tellement d’accents régionaux et de parlers locaux), et ce sont même les québécois qui font la leçon désormais aux (maudits?) français pour l’introduction abusive de mots anglais dans leur vocabulaire. C’est le résultat positif des échanges…

Et puis, n’oublions surtout pas enfin que l’époque révolue de l’« influence » du français (parlé dans toutes les cours d’Europe, à Berlin et même jusqu’en Russie, etc.) était aussi l’époque de l’arrogance française la plus brutale (Louis XIV, guerres napoléoniennes en Europe, et empire colonial ailleurs dans le monde).

Or, au début du XXe siècle, à peine la moitié de la population de la France savait s’exprimer correctement en français, soit à peine une quinzaine millions d’habitants ! Les autres parlaient… leurs langues régionales !

Peut-être que le français ne progresse désormais que parce qu’il a définitivement cessé d’être la langue des puissants ?

 

Jérôme Daquin

 

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Jérôme Daquin, créateur d’un atelier d’écriture francophone mondialisé

 

 

Jérôme Daquin, ancien journaliste à l’Agence France-Presse, est devenu animateur d’ateliers d’écriture dans la région lyonnaise, au sein de « Poussée d’écrits », structure créée en avril 2013 après une formation à ce métier dispensée par l’Université Louis-Lumière (Lyon 2).

Il propose également un « atelier d’écriture francophone mondialisé », sur internet, par le biais du blog Poussée d’écrits . Cet atelier d’écriture francophone mondialisé est destiné à faire écrire ensemble des francophones issus de différentes parties du monde, que le français soit leur langue maternelle ou langue acquise.

Plusieurs Françaises  dont une écrivaine, y participent (l’une d’entre elles vit  en Amérique latine), ainsi qu’un Québécois et un Américain de Louisiane, chanteur, poète  et musicien cajun de son état.

Une étudiante chinoise et un journaliste nigérien devraient bientôt les rejoindre, et… la liste devrait encore s’allonger !