En se produisant un seul soir au Forum Léo Ferré à Ivry, Rue de la Muette a retrouvé l’ambiance d’une salle où une certaine chanson de qualité est célébrée avec une détermination à toute épreuve.
Retour en photos et vidéos sur un intense concert offert par Patrick Ochs efficacement secondé par ses trois complices de Rue de la Muette : Vincent Mondy (clarinettes, saxophone), Gilles Puyfagès (accordéon) et Eric Jacquard (batterie). Continue Reading →
Mot-clé : Patrick Ochs
Frustration, colère, écœurement …
Autant de réactions ressenties intensément vendredi 28 novembre au Forum Léo Ferré durant le concert de Patrick Ochs efficacement secondé par ses trois complices de Rue de la Muette : Vincent Mondy (clarinettes, saxophone), Gilles Puyfagès (accordéon) et Eric Jacquard (batterie).
Non, ne vous méprenez pas, l’intense soirée offerte par le quatuor à une bonne cinquantaine de personnes enthousiastes n’est en cause.
Et encore moins ce haut-lieu de la chanson accueillant presque tous les soirs des “ambassadeurs” d’une chanson vivante hélas ignorée par l’immense majorité de nos concitoyens.
De quoi être sans aucun doute frustré, en colère et écœuré, non ? Explications.
Du 6 au 10 mai, Nogent aura vécu au rythme des journées et des soirées d’un festival synonyme de nombreuses retrouvailles et rencontres.
Oui, au-delà des concerts évoqués dans le prochain dernier volet de ce dossier, le festival aura également vibré après chaque spectacle aux accents d’une troisième mi-temps animée avec brio par Maxime et Jean-Philippe Vauthier, alias le duo Rouge Gorge. Avec en prime des interventions de chaque groupe ou artiste au programme.
Retour sur quelques-uns des innombrables temps forts d’une conviviale 14ème édition marquée par la regrettable absence des envoyés spéciaux de Vinyl, la revue “musique hors bizness”.
Embarquement immédiat pour Nogent histoire de retrouver ou découvrir les coulisses de l’édition 2014.
Aujourd’hui le 14ème Festival Bernard Dimey organisé du 6 au 10 mai 2014 à Nogent n’est plus qu’un (bon) souvenir.
Et l’Hôtel du Commerce aux murs abondamment ornés d’affiches des précédentes éditions a retrouvé son rythme de croisière face à la mairie, à côté du musée de la coutellerie et des locaux de la Communauté de communes du Bassin Nogentais.
Et aussi à quelques pas de la Médiathèque Bernard Dimey et de sa célèbre cave à Bernard : un espace idéal pour mettre en relief les textes du créateur de Syracuse.
Retour sur l’édition 2014 dont la programmation aura été qualifiée à juste titre de “nouvelle vague”par le Journal de Haute-Marne.
Prêts à découvrir ce festival enraciné dans le Nogentais ? Alors en route sans tarder vers Nogent en passant par Is en Bassigny, si le cœur vous en dit.
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Du 20 au 27 juillet 2013, Saint-Pierre et Miquelon a vécu au rythme des Déferlantes Atlantiques. Une grande première pour l’auteur-compositeur-inteprète Patrick Ochs et ses complices de Rue de la Muette.
Retour sur cet événement sous la plume et avec les photos de Patrick Ochs : un regard original, décalé et tendre sur un festival d’Amérique du Nord faisant battre le cœur de cet attachant archipel français au large de Terre-Neuve.
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En route pour Saint-Pierre et Miquelon
Ceux qui avaient raté l’avion…
D’excellents pilotes ! C’est ce que je me suis dit quand l’avion bimoteur s’est posé sur la petite piste de l’aéroport de l’archipel de Saint Pierre et Miquelon. Josette Dodeman, notre logeuse m’a expliqué plus tard que les femmes de Miquelon prenaient toutes l’avion pour venir accoucher à l’hôpital Saint-Pierrais.
Quand il y a trop de brume, faut attendre le soleil ou la fin de la pluie, attendre l’avion qui vient de Terre-Neuve, attendre le bateau sur le rivage. Attendre la fin de la neige.
J’ai pris cette brume dans la figure quand je suis descendu de la minuscule passerelle. Ça me faisait penser à l’une de ces vieilles photos en noir et blanc : Les Beatles arrivent sur un aérodrome et sortent de l’avion, assaillis par des filles hystériques. Sauf que nous, on n’avait pas de fans un peu cinglées pour se jeter sur nous. Même les chiens renifleurs nous ont regardés avec mépris. Pas la moindre boulette dans la chaussette.
Un douanier nous a demandé si nous étions les musiciens de Rue de la Muette, ceux qui avaient raté l’avion de la veille et le concert d’ouverture sous le chapiteau. Le type n’a même pas regardé les instruments, il m’a demandé si nous n’avions rien à déclarer et nous sommes passés comme de gros nazes.
La veille, pourtant, les musiciens de Martin Deschamps — de vrais tueurs du rock ceux là, des Canadiens hors pairs — avaient eu droit au grand jeu des vérifications à la douane : les questions tordues, la fouille des double fonds dans les étuis, les chiens renifleurs.
De gauche à droite Breen Leboeuf, Patrick Ochs, Martin Deschamps, David Ceresa et Gilles Puyfagès
Je me ferais teindre en blonde si tu me le demandais…
En fait, on est arrivés pendant le concert du samedi soir. Ils jouaient à fond. On s’est retrouvés derrière la console du sonorisateur, tous les voyants dans le rouge.
Martin Deschamps, sautait, en équilibre sur sa jambe unique et ses béquilles dansaient autour de lui. Il avait la voix que j’aurai aimé avoir au moins une fois dans ma vie: un truc entre Bob Seeger et AC/DC, entre le soleil et la grisaille de la pluie qui bat le bitume. Il jouait un solo sur sa guitare coincée entre ses bras atrophiés, plaquant les cordes avec ses coudes.
Il chantait en français, reprenait des titres de Gerry Boulet du groupe québécois Offenbach, interprétait Je suis un rocker, ce vieux truc de Chuck Berry adapté par Eddy Mitchell, balançait Jumpin’jack flash des Stones.
Les gens tendaient à bout de bras des briquets allumés. Fin de concert sur L’Hymne à l’amour de Piaf. Un rocker-biker sans bras ni jambe qui chante je me ferai teindre en blonde si tu me le demandais avec un magnifique sourire d’enfant ! La classe d’une vraie star. Un beau groupe au son west-coast. Même le vieil Hallyday n’aurait jamais osé.
D’ailleurs, aucun manager français n’a jamais osé prendre en charge la carrière française de Martin Deschamps : trop de membres atrophiés, de béquilles dérangeantes pour un public français pourtant sensible au téléthon annuel.Moins moelleux que Céline Dion ou Garou, j’imagine. Il a fait une tournée avec Charlélie Couture.
Un petit département français en Amérique du Nord…
Le matin après la nuit, le soleil après la brume. On s’est baladés en t-shirt au soleil. On a roulé au milieu des petites maisons multicolores. Du rose frais au vert pomme ! Tout succède à quelque chose. La couleur succède à la couleur.
On n’a pas joué ce soir-là. Ni le soir suivant. On a déambulé entre les petits pavillons, jaunes et bleus jusqu’au cap des Basques. Le geyser puissant d’une baleine qui passait. Comment nous voient les baleines quand elles sortent la tête hors de l’eau ? Savez-vous que la planète se réchauffe vraiment ?
Gilles a défait la caisse en bois dans laquelle il avait transporté son accordéon dans les soutes d’Air France, d’Air Canada et d’Air Saint-Pierre. Il s’est installé dans le salon de Josette et Bernard Dodeman pour l’essayer. “Ça marche !”
Josette nous a expliqué comment on reconnaissait les sexes de homards. Je vous expliquerai ça un jour.
David a essayé une contrebasse et un ampli. Un formidable luthier habitait sur l’archipel : Pierre Salomon, un des organisateurs du festival et président des Déferlantes Atlantiques. Les gens adorent chanter des chansons francophones en s’accompagnant à la guitare. Le conservatoire refuse du monde tous les ans.
Patrick Boez, qui nous avait invités à venir jouer ici travaille à la station météo. Un accueil de roi et un transport de rock star dans son 4×4. On a chargé la contrebasse à l’arrière de son van. On l’a saucissonnée avec une corde, comme pour une soirée bondage. On l’a tranquillement laissée là et on est allés boire un coup à la Chauve-souris.
Ici, on ne ferme pas les portes, on laisse les appareils photos sur la banquette, les portefeuilles dans la boîte à gants, les maisons ouvertes. Pas de voleurs, pas de gens mal intentionnés. Si quelque chose disparaît, un portefeuille, un ordinateur, on laisse un message sur la page d’accueil de Facebook et la plupart du temps, tout réapparaît, comme par enchantement.
5000 personnes. Tout le monde se connaît. Un petit département français en Amérique du Nord.
Patrick Ochs et Patrick Boez
Le blues de Tomislav : Ma mère, mes pensées s’envolent vers toi
Au restaurant un vieux monsieur s’est encore fichu de nous. L’ancien directeur de l’école primaire de Miquelon. En fait, je crois qu’on avait parlé de notre avion raté aux infos. Tout le monde nous reconnaissait !
Il nous a raconté qu’un jour il avait traversé sur un petit bateau en ferraille de Langlade à Saint-Pierre en s’accrochant à une baleine. Elle l’a regardé droit dans les yeux mais elle n’avait pas un regard méchant ! Juste curieuse. À la fin du repas, il a appelé la serveuse : “Mon petit ange, amène-moi un autre Cognac !”.
Malgré le soleil on a passé plusieurs jours dans les brumes. Pour certains, c’était celles de la bière, du Cognac et des nuits de rigolade. Pour moi, c’était surtout le brouillard des antidouleurs. Aïe ! L’arthrose. Les mains, le dos et les bras cloués.
La veille de notre concert, j’ai vu Tomislav sur scène. Seul avec sa guitare, sa batterie aux pieds, quelques pédales d’effets, ses harmonicas, casquette vissée sur la tête. Un jeune homme-orchestre assis sur une chaise de bluesman.
Il parle doucement la tête en avant, les yeux clos, cherche ses mots mais l’énergie est là dans la disto qui gronde, dans la grosse caisse et la Charley qui claquent, dans la voix de pierres et de brumes. Tout est prêt à fondre, délicatement : j’écoute Tourner les talons et le magnifique Ma mère, mes pensées s’envolent vers toi (Tebi Majko misli lete) en boucle depuis ce soir-là.
Lui a eu droit à la fouille des douaniers, au démontage de ses pédales, au scan de ses harmonicas, à la guitare scrutée. Un vrai chanteur de blues blanc, comme ceux qui se baladaient à La Nouvelle-Orléans, l’étui de leur Gibson rafistolée dans le coffre d’une Cadillac bleu rouillé, quelques bouteilles de whisky de secours planquées sous un tas de couvertures.
Le grand Léo n’était pas un rigolo
On a joué le premier soir à la Chauve-souris, comme un groupe d’excités sans batteur. Deux sets de 45 minutes à toute vitesse, à fond les ballons. Faire chanter les gens, les faire s’approcher du rond que la lumière trace au sol, les inciter à écouter ce qui se raconte malgré le tintement des verres au bar.
Mes compagnons musiciens, Gilles et David les bras nus en Marcel. 27 titres enchaînés, avec une petite pause au bar en plein milieu. Un ancien espion bulgare, qui travaillait dans l’aéronautique, est venu me dire qu’il nous avait vus en 2007 à Plodviv, lors du festival de la francophonie. Que faisait-il là ? On a fini le spectacle sur Comme à Ostende de Léo Ferré et Jean-Roger Caussimon et une jeune fille : A poil ! Enlève la chemise !
Juste à ce moment-là, mon esprit passait et repassait en titubant devant l’estaminet que décrit la chanson. Sincèrement, ça m’a fait plaisir car ça ne m’arrive plus très souvent, ce genre de choses. Peut-être que ça les aurait fait marrer aussi, le Grand Léo et Monsieur Caussimon, mais ce n’est pas sûr parce que je pense qu’ils n’étaient pas des rigolos.
La queue de la baleine, un sorbet de plate-bières
Tomislav a vu les baleines. Il en a même écrasé une larme. Nous on les a juste croisées, entr’aperçues, sous les vols de macareux. Et le passage d’un rorqual. Encore un geyser et plouf droit devant ! Le petit bateau métallique tangue au dessus du trou par lequel une baleine s’est engouffrée, mais la coquine ne remontera jamais pour nous scruter.
Les photos des queues de baleines sont recensées quelque part dans une sorte de fichier d’empreintes digitales pour queues de baleines.
Aucun dessin sur la nageoire ne ressemble à un autre. Patrick Boez en a photographié une qu’on avait déjà vue dans la région dans les années 70. Moi, je ne les ai pas photographiées. Juste la figure de David, les lunettes de travers, blanc comme un linge. Gilles en train de téléphoner du bateau, la main sur l’oreille.
On a mangé chez Patrick Boez. C’était une soirée formidable. Il y avait Sophie Bry, sa délicieuse compagne, l’accordéoniste Steve Normandin et d’autres amis encore. On a mangé du crabe des neiges, du saumon sauvage pêché localement, cuit au sel pendant deux heures sur le barbecue et un sorbet de framboises et de plate-bières.
Je n’oublierai jamais ce repas, cette belle maison vaporeuse sur cet archipel au milieu de l’Atlantique. Merci de nous avoir invités dans ce bel endroit. Ça restera comme l’un de mes meilleurs souvenirs. De ceux que j’emporterai avec moi le jour ou je devrai mettre mes quelques souvenirs dans un modeste bagage.
David Ceresa essaye une contrebasse
Rue de la Muette et le groupe BBQ
C’est toi qui fais aboyer mes chiens ?
On est partis jouer à Miquelon avec le groupe de jazz BBQ. J’avais dormi sur le bateau à l’aller. J’ai fait le tour de la petite presqu’île.
Quelques heures de marche sur un chemin vers Langlade entre la mer et la mer, au milieu d’une bande de chevaux froussards et mélancoliques. 600 personnes habitent là. Quelques photos du port, lumière transparente. Les quais et les rues déserts. Un type qui trie des crabes des neiges sur le quai.
Comment ça va ? Ça va bien ? C’est toi qui fais aboyer mes chiens ? me demande une dame en passant, avec un gamin dans une poussette. Elle s’arrête devant l’église bleue comme le ciel. Elle se poste sous la webcam du portail internet de Saint-Pierre et Miquelon, au milieu de la place vide, sous le drapeau bleu blanc rouge installé en haut d’un lampadaire. Fais coucou, dit-elle au gamin. Peut-être que quelque part ailleurs, de l’autre côté de l’Atlantique, quelqu’un le regarde en train de balancer sa petite main.
Concert le soir avec BBQ et la chanteuse Katerine Desrochers. De beaux arrangements et une voix magnifique.
Moi, en début de soirée, j’explique au public que nous sommes venus du département voisin pour faire leur connaissance. Des gens d’origine acadienne, québécoise, métropolitaine à l’accent rude. Un cameraman circule autour de nous.
Les gens chantent, posent leur bière et lèvent les bras pour taper dans leurs mains. Un jeune homme au visage d’Inuit me dit qu’il travaille ici. Il va parfois à Terre-Neuve, mais pas souvent. Il n’est jamais venu en métropole. Un jour peut-être.
Le journaliste de la télé me propose de m’interviewer après le concert puis disparaît. Je transpire et j’ai mal partout : le dos, les mains, les articulations. J’ai l’impression de trimballer un vieux et que le vieux c’est moi.
Plus tard, je retrouve le cameraman en train de filmer Gilles et David sur une banquette. Ils parlent avec enthousiasme du groupe et de la tournée. Ils sont heureux et participent jours et nuits à la vie du Festival.
Moi, je pars me coucher en claudiquant. Je remonte la rue, un sac plastique sous le bras. A l’intérieur il y a mon pantalon et ma chemise, trempés de la sueur du concert. Je me douche, prends deux comprimés contre la douleur et repars dans le brouillard. Le lendemain, nous roulons jusqu’à Langlade. Les musiciens improvisent un bœuf dans une cabane en attendant que le bateau sorte de la brume. Une cinquantaine de passagers. L’avion de Saint-Pierre n’a pas pu décoller.
Katerine chante Girl of Ipanema soutenue par deux guitaristes de BBQ, réveillées en vitesse. Le bateau décharge les passagers en zodiac. Les musiciens ferment les yeux pour s’allonger sur les banquettes qui commencent à balancer sérieusement.
Quelqu’un a enfermé un gros labrador dans une cage étroite qu’il a abandonnée sur le pont. La cage tangue à bâbord, à tribord, battue par les embruns. Avant que le chien ne passe par-dessus bord, un homme la ramène au milieu du pont et la cale avec une barre de métal. Le chien regarde d’un air piteux, entre les barreaux de la cage, sans émettre le moindre son, dans l’indifférence générale. En même temps, sur les rochers, une dizaine de phoques plongent dans l’eau transparente. Le bateau ralentit pour que nous puissions les admirer.
Heckle and Jeckle
De vrais passionnés de chansons reprennent en chœur ce soir-là les titres que joue le groupe le soir même au restaurant. Des chansons d’Yves Jamait, de Moustaki, de Brassens, de D’Gé, un artiste local. Moi, au dessert, j’ai chanté en duo avec le chanteur Charly Yapo ce titre des Charlots :
Quand la Marie est jalouse Je chante le blues
Quand je marche dans la bouse Je chante le blues
Quand le médecin me dit de me coller des ventouses je chante le blues.
Charlie, j’adore ton chapeau de bluesman ! C’est celui de Jean Leloup me dit-il et il me tape dans la main en rigolant avec ses dents blanches ! Mon pote, t’es génial. Il shake mon bras blanc contre son gros bras noir et je te jure putain que ça fait mal !
Pascal, un ancien de la marine marchande parle de la Charente et de Périgueux qu’il traversait autrefois quand il allait en métropole. Aujourd’hui, il est le patron du restaurant des îles. Il me ramène son gendre, un jeune chef talentueux. Je le reconnais. Il était élève dans l’école hôtelière ou je travaillais autrefois, à Boulazac, en Dordogne.
La semaine se déroule ainsi : David et Gilles, les musiciens de Rue de la Muette, rencontrent d’autres musiciens, de nouveaux amis, se confrontent, picolent, se couchent à pas d’heures, rigolent, rentrent tard après le spectacle, font du bruit, toujours ensemble. Tomislav les appelle Heckle and Jeckle, les deux corbeaux inséparables du cartoon.
Ils rentrent au petit matin, essaient les pantoufles de Bernard, le mari de Josette notre logeuse, font la course dans le couloir en pouffant avant de s’effondrer en position fœtale sur le lit. Au petit-déjeuner, David propose à Bernard de le tatouer. Bernard hésite. Josette s’interpose.
Rue de la Muette en studio pour l’émission Jambon Beurre de Patrick Boez
Le sens de la chanson
Quand nous sommes invités par Patrick Boez pour jouer dans son émission Jambon Beurre. Nous jouons trois titres en live : Ma mère traîne au café, Un pas pour danser, La Muette à Drancy. Cette chanson parle du sinistre camp de Drancy près de Paris. Des tziganes, des juifs, des résistants, des opposants politiques, des homosexuels y sont passés avant d’être envoyés vers les camps de la mort, en Pologne durant la seconde guerre mondiale…
La toute jeune journaliste de la radio me demande : Peux-tu m’expliquer le sens de la chanson que tu chantes sur Dreeeency ?
Elle diffuse aussi mon duo avec Charlélie Couture.
Promo : la télé, quelques émissions de radio. On me voit parler avec David, en pleine forme. Un technicien arrange mon écharpe autour du cou pour dissimuler un minuscule micro. David parle et parle. Les gens finissent par le reconnaître dans la rue.
En photographiant les quais brumeux et déserts de Saint Pierre au petit matin, je croise Fabrice en train d’inspecter son bateau, un beau Doris jaune à fond plat, l’un des derniers authentiques de l’île. Il est commerçant. “J’aurai aimé être pécheur. Ici, en France, c’est trop compliqué. Impossible d’embaucher. Les charges sont trop élevées, alors, je fais du bisness au Québec. Ici autrefois, arrivaient 60 bateaux par jours ! Des bars, des restaurants, des cinémas. Les marins descendaient à terre pour rigoler. Une plaque tournante pendant la prohibition dans les années 30. Mais tout ça c’est fini. Tout est à l’abandon”.
Le capteur de mon appareil photo est opaque comme du brouillard. On y distingue quelques silhouettes. Plus tard je montre les photos à Sophie, la compagne de Patrick Boez : Y’en a marre de voir toujours les mêmes photos de l’archipel, les baraques de pêcheurs, les Doris, les casiers à homards, le phare et la brume, les quais déserts.
Deux concerts. L’un au Joinville. Les musiciens totalement épanouis et une vraie complicité entre nous. Parfois les morceaux s’enchaînent sans que je ne sache ce que nous allons jouer. J’improvise le début de la chanson sur la contrebasse jusqu’à ce que j’en reconnaisse le thème. Je danse avec plaisir au milieu du public malgré ma cheville et mon bras tordu. Je me recouche le soir, un peu moins malade qu’après les concerts précédents.
Le lendemain nous jouons sous le chapiteau pour clore le festival. Ça fait une semaine que nous sommes là et j’ai l’impression de connaître tout le monde. Les gens viennent vers moi et me saluent gentiment. On se tutoie, on rigole. J’ai envie de jouer. On est au milieu du matériel des autres groupes qui passent après nous.
Je me prends un peu les pieds dans les câbles, je trébuche et dès que je me déplace un redoutable larsen me punit les oreilles. Arrête de dire que nous sommes le groupe qui a raté l’avion ! Ça devient lourd, me dit Gilles. Je danse au milieu du public en boitillant. Ma chanson Ma mère traîne au café est souvent passée en radio et les gens la chantent. Merci au public de Saint-Pierre qui nous a encouragés.
Le verre de l’amitié chez Patrick Boez
Bagatelle pour un massacre
Kodiak avec son ours bassiste, un homme gigantesque avec un bonnet sur la tête et un son terrible. Ses 3 enfants l’attendent au coin de la scène. Ils sont minuscules quand il les prend doucement dans ses bras pour les endormir… Sa jeune et toute petite épouse porte un bébé contre son sein. Ils sont venus en voiture jusqu’à Halifax puis l’avion. 14 heures de route avec les trois gosses en bas âge à partir de Québec.
Le niveau des musiciens de là-bas est excellent, bluffant, concurrentiel. Nous y avons rencontré des artistes simples et charmants, au tutoiement facile, cools et talentueux, originaux et parlant un incroyable français magique et bigarré.
Pas d’intermittents du spectacle au Canada. Les musiciens ont un autre job et joignent difficilement les deux bouts. Bagagistes, ouvreuses, manutentionnaires, employés de bureau, serveuses, caissières. Pas de reconnaissance des branches artistiques. Des conditions sociales plus rudes que les nôtres même si l’emploi semble plus accessible à tous. Il faut donc continuer à nous accrocher à nos métiers d’artistes artisans.
On a encore marché, roulé, cherché la baleine dans ce lointain département français en Amérique du Nord. On a encore pris du temps pour en parler avec Patrick Boez sans qui nous ne serions jamais venus.
Plus tard, Patrick Boez m’a raconté que Chateaubriand est passé par Saint Pierre et Miquelon. Il parle de l’Ile aux Chiens et narre une impossible chasse aux ours blancs.
Louis-Ferdinand Céline aussi est passé par ici, en 1938 juste après la publication de Bagatelle pour un massacre, son pamphlet antisémite. Rejoindre Montréal pour en savoir un peu plus sur le mouvement fasciste canadien dirigé par son leader pro-nazi Adrien Arcand. En rigolant, il aurait même demandé à Laval de le nommer un jour gouverneur de Saint-Pierre et Miquelon.
Hey les gars, un jour on mangera encore du homard ensemble
Nous sommes allés dans un bar tenu par un ancien marin espagnol. Rue de la Muette jouait dans un juke-box Ma mère traîne au Café. Dominique Jamait et Tomislav. Raoul de Godewarsvelde : Quand la mer monte, j’ai honte, j’ai honte. Quand elle descend, je l’attends.
En rentrant, il y avait une jeune fille qui pleurait dans l’avion. Elle pleurait parce qu’elle retournait aux études en métropole, à Rennes. Ses parents essayaient de faire bonne figure, mais le cœur n’y était pas.
Les enfants s’en vont après le bac et reviennent quand ils reviennent. Tout se suit, tout se succède, le gris et le rose, la brume et le soleil, le départ et le retour, le silence succède à la musique et au silence.
Nous avons d’excellents pilotes. Ne vous inquiétez pas. Le même bimoteur. Le même pilote brushing et bronzé. L’hôtesse souriante rassure les enfants du bassiste de Kodiak qui cache un paisible nourrisson entre ses bras épais.
David Yapo somnole dans l’avion parce que le concert de la veille a été long, très long.
Dix minutes avant de démarrer le spectacle, il m’a dit : Y’en a marre je vais jouer 4 morceaux et on se casse ! je suis trop fatigué trop fatigué trop fatigué et il m’a encore serré contre lui comme si j’étais le pote le plus cool du monde. Il a donné sa carte à David : Si tu passes par Montréal, viens me voir, on fera quelque chose ensemble puis il a fait danser le public jusqu’à deux heures du matin en leur chantant interminablement Est-ce que vous êtes fatigués ?
Hey les gars, un jour on mangera encore du homard ensemble.
De la petite musique country française
en faisant glingglinggling sur un petit violon
On est repartis par Halifax, puis Montréal, puis Paris. On a essayé différentes boutiques à bières et à sandwiches, acheté de l’alcool et des clopes. A Montréal, Gilles a laissé son passeport sur un comptoir. Une fille l’a interpellé Hey y Jill, tu n’as pas besoin de ton passeport ? Je suis chanteuse lyrique ! Je peux venir avec vous ?
J’ai juste eu le temps de voir à Montréal, mon copain Jean-Yves, l’homme qui s’arrange pour me croiser partout ou je me trouve, surtout quand je suis en galère. Il nous a même trouvé un hébergement grâce à Facebook. Un gars qui m’a écrit un jour pour me demander de lui expliquer l’une de mes chansons inexplicables! Hélas, j’ai encore traversé le Canada sans m’y arrêter pour chanter.
La douleur m’embrouille encore. Un type qui ressemble à Jimmy Connors me regarde en se marrant, commande du champagne et me tend une coupe. David et Gilles dorment profondément, alors il ne leur propose rien. L’avion est silencieux. Jimmy Connors est complètement bourré. Il parle dans l’oreille de la jolie hôtesse qui lui répond en souriant quelque chose comme Calmez-vous Monsieur. Je crois que vous avez assez bu.
Jimmy se penche vers moi et me demande quel genre de musiciens nous sommes. Des french musiciens country qui jouent de la petite musique folklorique française en faisant glingglinggling sur des petits violons ? Il mime un archet qui monte et qui descend sur des boyaux de chats imaginaires. On se tord de rire. Il fait du bruit entre ses dents, dans un brouhaha silencieux pour ne pas réveiller nos voisins.
Tout se ressemble et tout se poursuit. Quatre avions pour revenir à Bordeaux, la chaleur ou le froid à la descente de la passerelle, les fouilles au portique, les douaniers qui me chatouillent le corps en cherchant des objets dissimulés, des traces de substances explosives comme dans les séries télé : “Avez-vous de la drogue ou des objets dangereux” ?
La nuit n’en finit pas de tomber au fur et à mesure qu’on remonte le temps, sans succéder à aucune journée en particulier. Un café à Roissy, l’avion en retard. On attend. On attend. On somnole, on se lève, on marche, on se réveille, on tire des valises. On s’embrasse. On se quitte pour toujours.
On se retrouvera. On verra. Tout se succède. Tout commence et tout finit. David me quitte sur le parking à Mérignac. Il rigole mais pas trop. Gilles file parce qu’il joue ce soir au bal vers Argentat.
Moi, j’avance. J’avance avec ma main droite qui s’ouvre et se ferme toute seule. Quand retournerons-nous au Québec ?
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Patrick Ochs août 2012
Merci à Pierre Salomon, à Patrick Boez
Merci à Rémi Karnauch pour son aide
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Les photos du concert au Joinville et de l’émission Jambon-Beurre sont signées Patrick Boez, les autres proviennent de la collection personnelle de Patrick Ochs : photos ©Patrick Ochs Rue de la Muette.
Sites à découvrir Rue de la Muette http://www.ruedelamuette.com/
Jambon Beurre : http://www.patrickboez.com/jambon_beurre/
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