ORDRE DES FRANCOPHONES D’AMERIQUE – FRANCOISE ENGUEHARD : “Une langue ne disparaît pas parce qu’on ne l’apprend plus mais parce que ceux qui la connaissent ne l’utilisent plus”

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A quelques jours de la FrancoFête de Moncton-Dieppe au Nouveau-Brunswick et de Coup de Coeur Francophone à Montréal, voici un texte à partager entre passionnés de chanson francophone et de la langue française.

En l’occurrence le discours prononcé lors de la remise de l’Ordre des francophones d’Amérique par Françoise Enguehard le 26 septembre 2013 à Québec.

L’Ordre de francophones d’Amérique est une décoration décernée annuellement depuis 1978 par le Conseil supérieur de la langue française.

Présidente de la Société nationale de l’Acadie (SNA) de 2006 à 2012, elle a reçu cet honneur de la part du Conseil supérieur de la langue française.

Cette distinction reconnaît “les mérites de personnes qui se sont consacrées ou qui se consacrent au maintien et à l’épanouissement de la langue française en Amérique ou qui ont accordé leur soutien à l’essor de la vie française sur le continent américain”.

Coup de projecteur sur Françoise Enguehard, militante des plus déterminées de la langue française : un destin aux multiples facettes sans aucun doute !

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PF FRANCOISE ENGUEHARD

Françoise Enguehard photographiée par le Conseil supérieur de la langue française

 

“Chers Amis,

En m’accueillant aujourd’hui dans l’Ordre des francophones d’Amérique, vous avez choisi d’honorer, pour la toute première fois, une personne née aux Îles Saint-Pierre-et-Miquelon, minuscule terre française d’Amérique du Nord.

Contrairement à la majorité des francophones des Amériques, je n’ai donc eu aucun mérite à apprendre ma langue puisque j’étais en République française, appuyée dans mes études et dans ma vie  par ses institutions.

Si mérite j’ai eu qui justifie l’honneur qu’on me fait, il m’est venu par la suite lorsque j’ai quitté mes îles, à seize ans, pour Halifax puis Saint-Jean de Terre-Neuve, m’installant ainsi à la fois en Anglophonie et en Acadie.

 De ce pays du cœur qu’est l’Acadie, j’avais reçu de ma grand-mère maternelle, fière descendante de Zélie Poirier, Madeleine Bourgeois et de tant d’autres déracinées, l’enseignement le plus ardent ainsi qu’une grande leçon d’humilité : je n’avais aucun mérite à bien parler français m’expliquait-elle, les Acadiens, eux, forçaient l’admiration.

Il convenait de ne se moquer ni de la parlure ni de l’accent mais de se réjouir d’y retrouver la langue de Rabelais, préservée dans toute son exubérance comme au jour où Jacques Cartier quitta Limoilou pour Terre-Neuve.

 Cette manière d’envisager la langue a guidé mon travail et mon action en francophonie et demeure d’actualité plus que jamais, à l’heure de l’internet, des tweets et des textos.

Oui, les gens font des fautes de grammaire et d’orthographe, de prononciation, le vocabulaire de tous les jours s’appauvrit souvent mais tout cela ne m’inquiète pas outre mesure puisque, à bien y regarder, on a rarement autant écrit, peu importe le support électronique, rarement autant lu non plus.

Par contre,  j’ai deux craintes :

La première c’est le peu d’inquiétude de la France face à la place sans cesse croissante qu’elle accorde à l’anglais sur son territoire, des panneaux d’affichage aux magazines en passant par le vocabulaire de l’élite : “dispatcher au staff”, “regarder un spectacle en live”, pourquoi donc? Jusqu’à l’aimant de collection du fromage La Vache Qui Rit qui devient “un magnet collector”. N’eut été de l’article indéfini on était complètement en anglais.

Oui, le français a toujours intégré les mots étrangers, mais seulement lorsqu’il n’avait pas d’équivalent à sa disposition. Aujourd’hui, c’est tout le contraire et pour nous, francophones des Amériques, ce laisser-aller dans “la maison-mère” a de quoi inquiéter.

L’autre crainte est plus subtile : selon l’Organisation internationale de la Francophonie il y a 220 millions de locuteurs français de par le vaste monde et 33 millions de personnes dans les Amériques qui connaissent notre langue, dont 11 millions aux États-Unis.

Mais combien d’entre elles s’en servent ? Et combien d’entre elles la transmettront ?

Être francophone dans les Amériques exige un grand niveau d’engagement, une dévotion de tous les instants, une rigueur et une constance exigeantes pour donner au français la place qui lui revient.

Ma famille – mon mari, nos deux garçons et moi – avons ensemble fait cet effort tant nous étions convaincus que c’était là notre responsabilité de citoyens et nous avons fait nôtre, cette phrase :

“Une langue ne disparaît pas parce qu’on ne l’apprend plus mais parce que ceux qui la connaissent ne l’utilisent plus”. J’ai étudié le latin pendant sept ans, je confirme l’exactitude de cette citation.

 PF FF CRIA FRANCOFETE 2011 3 CRIA 047

FrancoFête, novembre 2012. Françoise Enguehard assise à côté de Philippe Beaulieu, durant la présentation du Centre de ressources international et acadien (CRIA) par Carol Doucet

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 “Ses liens privilégiés avec Saint-Pierre-et-Miquelon ont également permis de fortifier les relations entre la SNA et l’Archipel”

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Françoise Enguehard a assurément plusieurs cordes à son arc ! Journaliste et auteure de romans jeunesse et pour adultes, elle travaille actuellement à son compte à Vivat Communications, une compagnie de communication et de relations publiques, tout en demeurant plus que jamais mobilisée sans hésitation en faveur de l’Acadie.

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Pour mieux connaître Françoise Enguegard, une visite s’impose sur le portail des francophones de Terre-Neuve et Labrador.

http://www.francotnl.ca/artiste/francoise-enguehard

De quoi en savoir plus sur cette militante de la langue française ainsi saluée par la Société Nationale de l’Acadie (SNA) lors de sa remise de l’Ordre des francophones d’Amérique.

“Françoise Enguehard est une grande dame qui se donne corps et âme à l’Acadie tout entière. Bien avant son passage à la SNA, ses engagements et son dévouement pour sa communauté francophone de Terre-Neuve et Labrador ont permis à la Francophonie de découvrir la ténacité de son peuple” a affirmé fièrement la vice-présidente, Mme Amély Friolet-O’Neil. “Je me joins au peuple acadien afin de la remercier pour ses nombreuses contributions. Cet insigne de l’Ordre des francophones d’Amérique qui lui est décerné est grandement mérité. Toutes nos félicitations Françoise! »

Dès son arrivée à Terre-Neuve, Mme Enguehard, qui est originaire de Saint-Pierre-et-Miquelon, s’investit à l’Association francophone de Saint-Jean. Elle participe d’abord à sa création et y travaille ensuite comme directrice générale.

Elle se consacre également de manière bénévole aux droits à l’éducation en français pendant une vingtaine d’années et assiste finalement, alors qu’elle fait partie du comité de parents de l’école française, à la construction et à l’ouverture du Centre scolaire et communautaire Les Grands Vents de St-Jean.

En 2006, Mme Enguehard entame un nouveau défi en tant que présidente de la SNA. Pendant ces six années, elle permet à l’organisme de se solidifier et contribue à sa plus grande visibilité en Atlantique, mais également à l’échelle nationale et internationale

Mme Enguehard a de plus insisté sur le rôle important de la jeunesse en Acadie et en particulier au sein de la SNA en encourageant avec succès la jeunesse acadienne de s’impliquer davantage au sein de l’organisme. Ses liens privilégiés avec Saint-Pierre-et-Miquelon ont également permis de fortifier les relations entre la SNA et l’Archipel”.

 Les Litanies de l'île aux Chiens

Sans doute le livre le plus important et le plus personnel aussi de Françoise Enguehard. Un passionnant ouvrage de 356 pages, entre saga familiale et destin hors du commun de la belle Marie-Jo …

Une histoire émouvante et tellement réaliste enracinée dans le difficile quotidien de cette île au large de Saint-Pierre-et-Miquelon aujourd’hui plus connue sous le nom d’Ile aux Marins.

Également publié en France sous le titre L’Île aux chiens, ce  livre a reçu le  Prix Queffélec 2001 : un honneur destiné à des “œuvres maritimes”.

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TEXTE ET PHOTO ALBERT WEBER

SOURCES Françoise Enguehard, Société nationale de l’Acadie

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TRIBUNE LIBRE/ NORBERT GABRIEL : CHANTER LA LANGUE DE CHEZ NOUS ..

Bienvenue à NORBERT GABRIEL pour cette tribune Libre intitulée “CHANTER LA LANGUE DE CHEZ NOUS”.

Norbert Gabriel est un des co-fondateurs du blog du Doigt dans l’Oeil et membre de la rédaction du site de Michel Kemper, Nos enchanteurs, L’Autre Chanson : deux des sites mentionnés dans notre rubrique “En lien avec ..”

“La chanson est l’expression la plus authentiquement populaire. Le seul art qui soit resté près de ses sources. Un des rares où toutes les valeurs Qulturelles (avec un Q soit mises échec).

(…) Piaf et Brassens étaient aussi des parias de l’éducation. Tout comme Gershwin et Django Reinhardt. La pauvreté du bagage scolaire n’a jamais empêché qui que ce soit de chanter.

Un aphone inculte, par sa seule sensibilité, peut émouvoir. Mieux que la voix ou le cerveau les plus cultivés”.

PF MOUSTAKI  recadré

Ces lignes sont de Georges Moustaki, “Questions à la chanson 1973″. Elles sont d’une pertinence éternelle. Dans le débat qui revient régulièrement à la une des interrogations existentielles sur la chanson à texte, ou la chanson « pas à texte », on ergote sur le fait que la bonne chanson se doit d’être forcément dans la langue de chez nous. Qu’on soit bantou, auvergnat, alsacien, patagon ou brésilien, hors du langage natal, pas de salut. Peut-être. Ou peut-être pas.

Il y a parfois des mystères qui nous dépassent. Je connais assez bien quelqu’un qui a été élevé au bel canto, l’opéra à la TSF, ou dans l’atelier de mon grand-père, Luis Mariano ou Caruso dans la cuisine-salon-salle à manger, et qui un jour, vers 13-14 ans a découvert “Fleuve profond” une émission qui racontait le negro-spiritual, un choc émotionnel d’une intensité inouïe, c’était quelque chose que je ressentais comme si c’était en moi depuis toujours. Sans comprendre le sens des mots, je percevais bien le sens de la musique, et la force du propos.

Ce n’est pas pour autant que j’ai balancé à la poubelle Bécaud et “mes mains qui dessinent dans le soir la forme d’un espoir qui ressemble à ton corps” ou Brassens, Marie-Josée Neuville, ou Brel, ou Félix Leclerc, eux qui me parlaient avec

“cette langue belle à qui sait la défendre.
Elle offre les trésors de richesses infinies
Les mots qui nous manquaient pour pouvoir nous comprendre
Et la force qu’il faut pour vivre en harmonie”.

Il n’était plus question d’ergoter sur le bien-fondé de l’imparfait du subjonctif et des beautés de Ronsard ou Malherbe dans leur écriture, la chanson était devenue un formidable générateur d’émotions, portées par des voix, des voix venues de partout

C’est pas seulement ma voix qui chante
C’est l’autre voix, une foule de voix
Voix d’aujourd’hui ou d’autrefois
Des voix marrantes, ensoleillées
Désespérées, émerveillées
Voix déchirantes et brisées
Voix souriantes et affolées
Folles de douleur et de gaieté

et qu’elles chantent en slang, en argot, en russe ou en patois javanais, quand il y a une émotion qui passe, pas besoin de sous-titres.

C’est pourquoi, avec ma pile en vrac jamais rangée, à côté de la chaîne, avec Ferrat, Jacques Yvart, Elisabeth Wiener, Higelin, Pagani, Pauline Julien et Anne Sylvestre, Pierre Barouh, une partie de ceux qui sont là depuis plus de 20 ans, il y a aussi Melody Gardot, Madeleine Peyroux, Alela Diane, Vissotski, qui ne sont pas tout à fait francophones, mais qui me racontent des histoires. Comme Serge Utgé-Royo, dont tout le répertoire est inspiré d’une histoire, celle des exilés.

Et de tous les exilés finalement. Utgé-Royo m’a fait comprendre une chose que je n’avais pas vraiment cernée, c’est la qualité de son écriture dans une langue parfaitement maîtrisée qui crée cette addiction à cette forme de chanson qui raconte. Elle est “à texte”, bien sûr, mais ce n’est pas toujours suffisant. Il faut le fond et la perfection de la forme pour ne pas casser la magie par une rime hasardeuse, qui me ferait décrocher.

Il y a des interprètes ou auteurs qui essaient de me raconter des histoires, mais quand j’entends “le soleil-le dans le ciel-le, sur le port-re…” je peux pas. Et il y aussi “un mirador-re” pour achever le tableau. Bien que la voix soit belle, la mélodie réussie, ça ne passe…

Et je suis beaucoup plus touché par la voix de Léonard Cohen, celle de Billie Holiday, ou celle de Lou Doillon récemment, entendue en aveugle à la radio. Sans pré annonce, ni quoi que ce soit. Sans image glamour, la voix, l’expression vocale, quelque chose qui émeut, c’est tout. Le fait que ce soit en français, n’est pas une garantie d’extase textuelle. Sinon les rappeurs seraient en orgasme perpétuel avec leurs rimes appuyées et scandées en mode marteau piqueur.

Durant des années, “My gypsy wife” de Léonard Cohen m’a bouleversé sans que je n’aie jamais eu envie de chercher la traduction. Une fêlure dans la voix, un écho de violon.

Il est sûr que je suis souvent devant les scènes françaises, celles de Louis Ville, Agnès Debord, Valérie Mischler, Bernard Joyet, et celles et ceux des Lundis de la chanson, n’empêche que Chappel Hill m’a envoyé dans les nuages un peu comme The Doors ou Johnny Cash. Mais pas Presley … Sorry Elvis, t’as une belle voix mais ça ne me raconte pas grand chose.

Le travers qui se répand chez les néo french rockers babillant en anglais canada dry, est en effet préoccupant, c’est vide, c’est creux, c’est sans intérêt. Mais ça peut faire gigoter en buvant une bière, et en discutant avec les copains.

Aujourd’hui, tout le monde se fait un point d’honneur de reprendre les chansons de Leprest… Pourquoi pas ? Il n’y a pas tant de maîtres dans ce domaine, mais combien savent vraiment apporter quelque chose de neuf, de mieux que l’original ? Ce qui vaut aussi pour les adaptations qui émigrent, mais c’est un autre débat.

J’aime assez le parcours de Louis Ville, qui a fait du rock en anglais, et qui s’est mis à écrire en français pour être plus précis et riche dans ce qu’il voulait partager. “Cinémas, cinémas” c’est de la chanson qui raconte, qui a du sens et du son. Une chanson dont Pierre Dac aurait dit: “Pour bien comprendre les gens, le mieux est d’écouter ce qu’ils disent”. Bien sûr qu’on comprend mieux quand c’est la langue de chez nous.

Que ce soit une langue belle et riche, personne ne devrait contester ce fait Que la chanson soit un art populaire, c’est aussi une évidence. Mais la musique est aussi un langage universel, sans frontières, qui s’enrichit de métissages heureux, et qui s’appauvrit quand des néo-rockers babillent des insignifiances en anglais, parce que c’est tendance, et que ça se “dance”… Comme “La danse des canards”, c’est dansant, et français.

Mais il ne suffit pas non plus que ce soit en français pour avoir un label de qualité systématique. Genre vu dans “Nos Enchanteurs” qui ne serait qu’Only French, mais si on y chante plus souvent dans la trace de Jehan Rictus ou Gaston Couté, et leurs descendants que dans celle d’Eric Morena ou de Chantal Goya, ce serait dommage de se priver d’Elisabeth Caumont, cervantesque princesse Micomiconne qui explore avec bonheur les espaces ellingtoniens ou ceux de Chet Baker.

Et irait-on se priver aussi de Paco Ibanez ou Angélique Ionatos parce qu’ils ne chantent pas qu’en français ?

Peut-être que ça se discute, c’est un point de vue qu’on peut ne pas partager. Peut-être que c’est un crime de lèse majesté de saluer un album qui ne parle pas français.

Mais j’ai du mal à limiter mes enchantements au format hexagonal quand je peux avoir le monde entier à découvrir.

“Le monde ouvert à ma fenêtre… ” a toujours des airs balladins à découvrir, on n’est jamais à l’abri d’une bonne nouvelle.

Norbert Gabriel

Tu me diras que j’ai tort ou raison,
Ça ne me fera pas changer de chanson,
Je te la donne comme elle est,
Tu pourras en faire ce qu’il te plaît.
Et pourtant dans le monde
D’autres voix me répondent
Et pourtant dans le monde…

Bande son

Pour le langage universel de la chanson, voici l’archétype de la réussite, avec images si on veut, ce serait dommage de se priver d’Elisabeth Masse, mais la première fois, c’était sans autres images que celle générées par la voix de Louis Ville …

http://video.mytaratata.com/video/iLyROoafzmlS.html

“The gypsy wife” avec commentaire de Leonard Cohen (From the record: Field Commander Cohen. Tour of 1979 (Sony Music ent. Columbia. 501225 2)

 Et la version studio, la première…

 Merci à Yves Duteil et Jacques Prévert pour “La langue de chez nous” et “Cri du coeur” et Georges Moustaki, “Et pourtant dans le monde”

 

JOHANNE RONDEAU : PERCER LE MUR DU SILENCE

Imaginez visiter un musée ou 95 % des œuvres seraient voilées. Imaginez assister à une pièce de théâtre ou neuf comédiens sur dix ne diraient pas leurs répliques. Comme public, ne pousserions-nous pas les hauts cris?

Imaginez maintenant une culture qui occulte la vaste majorité de ses créateurs.

Nous ne sommes pas des enfants pour qui il faut filtrer les émissions qu’ils regardent, la musique qu’ils écoutent, les images qu’ils visionnent. Pourtant, nous acceptons, sans même nous interroger, qu’une poignée de bien-pensants nous dictent nos options – bien limitées, de surcroît – en matière de culture. Nous leur accordons le pouvoir de nous dire “Vous pouvez entendre ceci” et “Vous ne pouvez pas voir cela”.

Il nous arrive parfois de tomber par hasard sur une artiste, sur un créateur qui tente de s’exprimer, de vivre selon sa nature et de faire son métier malgré tout, en dehors du réseau agréé. Elle nous touche, il nous émerveille, nous en redemandons. Mais entre eux et nous, il y a une muraille, un mur blindé, percé de rares portes dont l’accès est sévèrement gardé et réservé à quelques happy few.

Comme public, nous devons nous demander combien d’artistes semblables demeurent cachés à nos yeux, à nos oreilles, à notre cœur. Combien sont-ils d’occupants de ce no man’s land, de prisonniers de ces limbes dont ils ne sortiront – selon la justification d’usage – que si et quand “il y aura un public pour eux”?

“Ne sanctionnons-nous pas les choix exclusivement mercantiles des gros producteurs qui nous imposent les plus rentables de leurs “petits trésors”?

Comme public, nous devons prendre conscience de notre responsabilité comme bailleurs de fonds. Ne finançons-nous pas directement les médias par notre consommation chez leurs annonceurs? Ne sanctionnons-nous pas les choix exclusivement mercantiles des gros producteurs qui nous imposent les plus rentables de leurs “petits trésors”?

N’avons-nous pas tous cru aux mensongères largesses de Star Academy et, plus récemment, de The Voice?

Nous sommes toutes et tous un peu artistes au fond de l’âme. La plupart d’entre nous ont choisi des existences plus “sécuritaires”, et c’est bien ainsi.

Cependant, nous ne pouvons pas moralement tourner le dos à celles et à ceux qui parfument nos justes existences. Faisons-nous entendre pour que nos artistes le puissent aussi à leur tour.

pf johanne

Johanne RondeauQuébécoise passionnée de chanson francophone
Membre du public

TRIBUNE LIBRE/JEAN CUSTEAU : MON BOULOT SANS RADIO

J’ai passé quarante ans à faire mon métier de musicien, d’auteur, de compositeur, de « faiseur de chansons », d’interprète et d’arrangeur. J’ai enregistré 7 albums. Mon premier disque m’a valu d’être intégré dans Le 9e Art, une encyclopédie sur la chanson française contemporaine, parue à Bruxelles en 1978. Tandis qu’au Québec

PF JEAN CUSTEAU 412

Jean Custeau dans son studio Bleuciel à Stanstead (Photo Albert Weber)

Au Québec, on a pu entendre mes chansons à Radio-Canada, la radio d’État, et dans certaines radios communautaires. Mais à la radio commerciale? J’en doute. Voici comment les radios commerciales font leur choix musical : une seule personne à Montréal décide de ce qui va tourner dans toutes les stations du réseau. Ainsi, tout ce que vous entendez au Québec dans les radios commerciales est choisi par 4 personnes : les directeurs musicaux de Rouge FM, NRJ, Rythme FM et CKOI. Idem pour la télé, idem dans le reste du Canada.

Il est évident que pas un artiste qui s’autoproduit n’est diffusé par ces réseaux : il faut être poussé par une grosse machine qui mettra argent et énergie pour faire « tourner » ses poulains les plus rentables. Or il y a dans toutes les régions des artistes de talent qui génèrent des productions et un contenu artistique de haute qualité.

Pourtant, ils sont confinés le plus souvent à la misère, à une vie sans dignité. Pour quelques-uns, une petite bourse gouvernementale viendra leur donner un mince répit, leur permettant de colmater les brèches financières les plus graves et de pouvoir vivre sans l’aide sociale (aide de dernier recours) pendant quelques mois.

Parlons justement d’argent : d’où vient celui des grands réseaux? Les radios commerciales tirent leurs seuls revenus des annonceurs. Or, au Québec, les entreprises locales contribuent en moyenne pour 68,3 % aux ventes de publicité. Ce sont des entreprises et des commerces d’une région donnée qui font vivre les radios commerciales dans cette même région.

Pourtant, aucun artiste de cette même région ne peut tourner sur leurs ondes. Plus des deux tiers des revenus viennent d’une région donnée, mais elles ne rendent rien à cette région.

On ne peut que conclure que cette situation est totalement immorale et doit cesser au plus vite. Dans un monde juste, les médias commerciaux de masse devraient diffuser une part raisonnable de répertoire régional. Les artistes doivent, par tous les moyens possibles, obtenir un espace légitime minimal de diffusion dans leur propre région pour pouvoir pratiquer leur métier avec un minimum de dignité.

Jean Custeau
Auteur-compositeur-interprète québécois
jeancusteau@hotmail.com

CARTE BLANCHE A MARC CHABOT : «LA CULTURE, LA CHANSON ET LE DIVERTISSEMENT »

pf chabot

Marc Chabot – ci-dessus en compagnie des artistes québécois Louis-Jean Cormier et Pascale Picard.

Marc Chabot est un essayiste, écrivain et parolier québécois. Professeur de philosophie dans un CEGEP pendant 35 ans, il a notamment publié des essais sur Don Quichotte, sur les journaux d’écrivains et sur l’histoire de la philosophie québécoise.

Il est également l’un des fondateurs du magazine littéraire Nuit blanche et collabore fréquemment à la revue Relations. Il écrit son premier texte de chanson en 1987 avec Richard Séguin. Depuis, il en a signé environ 200. Il travaille avec Claire Pelletier, Luce Dufault, Daniel Lavoie, Nelson Minville, Renée Martel, Marie Denise Pelletier, Vincent Vallières et bien d’autres.

Depuis plus d’une dizaine d’années, il est formateur au Festival en chanson de Petite-Vallée. Il s’occupe entre autres choses des Rencontres qui chantent et il offre des ateliers d’écriture en collaboration avec Marie-Claire Séguin. Il a animé plusieurs ateliers pour la SPACQ. Le prix Luc-Plamondon, récompensant un parolier, lui a été décerné en 2010 par la Fondation SPACQ.

Ce texte a été rendu public par Marc Chabot lors de la séance d’ouverture du Forum sur la chanson québécoise en mutation, lundi 4 février à Montréal. Un Forum organisé par le CALQ, le Conseil des arts et lettres du Québec avec la participation du ministère de la Culture et des Communications et de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC).

Place à présent à Marc Chabot pour son texte intitulé « La culture, la chanson et le divertissement».

“En 1966, la revue Liberté publiait un numéro spécial intitulé Pour la chanson. À la question : qu’est-ce que la chanson pour vous ? Félix Leclerc répondait :

«L’accumulation de joies et de peines ferait éclater le cœur de l’homme, s’il n’y avait pas la chanson.
Ses limites. Ça ne se voit pas dans les hautes sphères comme la symphonie, ça ne s’attarde pas dans les couloirs de l’âme comme la psychanalyse, ça ne s’explique pas comme la philosophie, ça ne juge pas comme la morale, ça ne s’enseigne pas comme la doctrine, ça ne se copie pas comme la photographie, ce n’est pas un aigle, c’est un vivant petit oiseau sensible et intelligent dont l’univers est la cour, il connaît et ressent tout mais en petit, c’est très parent avec le conte et la fable. Ce n’est pas un océan, c’est une source, un grelot d’argent dans l’épaisseur du silence, une allumette dans la nuit.

Quelle est la bonne, quelle est la mauvaise ?
La mauvaise est une mouche qui bourdonne ».

Quand on m’a invité à participer à ce Forum sur la chanson québécoise, je me suis demandé si c’était vraiment la place d’un parolier. Après tout, une bonne partie d’entre vous vit de la chanson, vous êtes des artistes, des interprètes, des musiciens, des techniciens, des diffuseurs, des propriétaires de salle, des publicitaires, des agents. Moi, je suis un parolier. Je ne fais pas de scène, je suis occasionnellement formateur, mais je ne suis jamais parvenu à faire de mon travail un métier qui me permettait de vivre.

Mon vrai métier a été professeur de philosophie dans un cégep. Maintenant, je suis à la retraite et je continue d’écrire des chansons pour les chanteurs et les chanteuses qui en font la demande. J’aime les mots, j’aime ces mariages de toutes sortes entre les mots et les notes. Pour moi, une chanson est une œuvre, le travail de plusieurs pour que vive une idée, une émotion, un rythme. Brassens disait qu’une chanson est une petite fête de mots de notes.

Je ne suis pas venu ici pour vous parler d’argent. La chanson, c’est d’abord et avant tout un individu qui, souvent dans la solitude, s’occupe de sa peine ou de sa joie d’être au monde. Il écrit, il compose. Ce peut être Les vieux pianos ou Quand les hommes vivront d’amour. Il ne sait pas encore ce qu’il adviendra de son travail. En fait, il ne sait pas grand-chose. Il s’occupe le mieux possible à dire où il en est avec le monde. Il s’attriste des violences, il sympathise avec les démunis, il danse avec ceux et celles qui fêtent, il travaille, il biffe, il jette, il recommence, il avance et il recule.

Une fois sa création terminée, beaucoup de choses ou peu de choses sont possibles. Beaucoup ou peu de choses qui ne dépendent pas de lui. Son seul pouvoir était d’écrire une chanson, son seul pouvoir était au bout de son crayon ou de son clavier. Beaucoup du reste tient du hasard, de la chance, des rencontres, de la diffusion, du désir des autres de nous faire exister ou non.

Je veux insister sur ce désir d’exister, car c’est ce qui distingue en tout premier lieu la culture du divertissement. La culture peut faire exister les œuvres et généralement elle se soucie aussi de les conserver, de les rappeler à notre mémoire, de leur faire traverser le temps et les générations.
C’est une responsabilité qui devrait incomber aussi à ceux et celles qui s’occupent du divertissement, même si ce n’est pas leur premier défi. Une responsabilité oubliée, une responsabilité qu’on a parfois délibérément gommée.

Il y a quelques années, au Festival de la chanson de Petite-Vallée, Daniel Boucher a chanté la chanson L’ange vagabond que j’ai écrite avec Richard et Marie-Claire Séguin. Nous étions tous les trois dans la salle. Pour ceux et celles qui s’en souviennent et qui la connaissent, vous savez qu’il s’agit d’un hommage à l’écrivain Jack Kerouac. C’est une œuvre pour la mémoire.

Après sa prestation, Daniel Boucher est venu me voir, il m’a pris dans ses bras et il m’a dit : merci Marc, tu sais, c’est depuis que je suis Ti-Cul que je rêvais de chanter cette chanson sur scène. Richard Séguin qui était tout près ajouta : il y en a au moins une qui aura traversé une génération.
Il est là le pouvoir de la culture. Dans un moment comme celui-là, je me soucie bien peu d’en être l’auteur. Je sais depuis longtemps maintenant que le nom des paroliers n’est pas ce qui prime. Mais une œuvre est vivante et ça me suffit.

Ce qui compte, c’est de pouvoir dire : merci Kerouac, merci la littérature, merci la musique, merci Daniel Boucher, merci l’américanité, merci la poésie, merci la culture.

Réduire la chanson à un art de divertissement, c’est peut-être passer à côté de l’essentiel. Réduire la chanson à un art de divertissement, ce n’est pas lui rendre service.

Je voudrais qu’on me comprenne bien. Je ne suis pas en train de vous dire qu’il y aurait d’un côté les bons de la chanson, ceux qui plaident pour la culture, et de l’autre côté ceux qui sont pour le divertissement et qui seraient les méchants.

Je pense que nous pouvons tous penser plus loin. Je pense que nous nous devons de faire cet effort. Nous le pouvons et, si nous y arrivons, nous parviendrons peut-être à résoudre une partie de la crise qui nous amène tous ici. Il y a des ponts à rétablir entre la culture et le divertissement.

La solution est là, pas dans l’acte de creuser davantage le fossé entre les deux.

Cette crise exige d’être réfléchie de plusieurs manières. Cette crise, elle vient aussi de cette séparation que nous encourageons jour après jour entre culture et divertissement.

Une chanson peut nous faire réfléchir, une autre peut nous faire danser, une autre peut nous faire pleurer et une autre encore peut nous faire rire. La chanson est un art multiple. La chanson doit être tout autant une fête qu’un hymne. La chanson doit être tout autant une folie qu’un recueillement ou une dénonciation des violences. Chanter, c’est tenter de dire et tenter de décrire tous les mondes possibles. La danse à Saint-Dilon fait son travail comme La danse des canards ou La danse du Smatte. Le plus beau voyage fait son travail comme La langue de chez nous ou Bozo les culottes. Les oies sauvages font leur travail comme La planque à libellules ou On va s’aimer encore.

Nous avons besoin des chansons pour tous les instants de la vie des êtres et pour tous les instants de la vie d’un peuple. J’ai besoin de ces petits oiseaux dans ma cour, comme le disait Félix. Comme j’ai besoin du cinéma, du théâtre, du roman, de la peinture et de la poésie.

Admettons que comme créateur, comme compositeur, comme parolier, comme interprète, nous ne serions que trop peu de choses si notre seul but, notre seule action dans la culture était de divertir.

La chanson doit être libérée des carcans dans laquelle on tente de l’emprisonner. Elle est plus qu’un genre, elle est plus qu’un son, elle est plus qu’une voix, elle est plus qu’une mode, elle est plus que ce qu’elle vend ou ne vend pas. C’est ce plus que nous devrions rechercher. C’est ce plus qui fait que, quelque part, un jeune vient de s’acheter une guitare et s’apprête à partir à l’aventure, qu’un autre vient de s’acheter un dictionnaire de rimes et se rend compte avec tristesse que bien peu de mots riment avec amour et qu’il devra trouver le moyen de nous le faire oublier.

Oui, il y a une crise. Elle est profonde, elle est terrible. Depuis l’arrivée du CD notre chanson se disperse et se perd. Le répertoire disparaît petit à petit. Nous sommes un petit marché et beaucoup de nos créations sont complètement disparues avec l’arrivée des CD. Il est strictement impossible, même avec la plus belle volonté du monde, de posséder l’intégrale de l’œuvre de Claude Léveillée ou Pauline Julien. Qui se souvient des albums d’une Ginette Ravel ou du groupe Toubabou ?

Nous n’aimons pas la chanson quand nous nous enfermons dans le présent. Il n’est jamais bon pour l’avenir de ne pas avoir de passé.
Je rêve depuis des années d’un vrai site Internet qui aurait le souci du passé. Contrairement à ce que l’on pense, il y a une grande différence entre l’histoire et la nostalgie.

Pouvons-nous nous donner les moyens de sortir de l’éphémère ? La chanson a une histoire, comme le cinéma ou la littérature.
Écrire une chanson, c’est ouvrir à la liberté. C’est la réclamer quand on n’en voit plus le bout du nez. C’est tout autant la liberté de l’amoureux que la liberté d’un peuple. J’aime savoir que les chansons naissent d’une émotion, mais c’est justement parce qu’elles sont une émotion qu’elles sont fragiles et cette fragilité peut faire tout autant notre bonheur que notre malheur.

Idéalement, la chanson ne devrait pas être au service de quelque chose. Elle est un mode d’expression, une manière d’être et de dire le monde. On ne peut pas se contenter de penser la chanson comme un simple soutien à l’industrie, à la publicité, aux radios ou aux commerces de tous genres. Quand j’écris dans un texte de chanson : je veux encore d’un grand verre de bonheur, j’aimerais bien qu’on sache que je n’écris pas pour qu’on boive plus de lait, une liqueur ou une bière. Je veux d’une chanson qui existe pour elle-même, je veux des chansons qui s’adressent à nous tous.

La vie n’est pas un éclat de rire permanent. Nous le savons tous. Depuis quelques années, bien des arts sont disparus des médias. Il y a peu ou pas de place pour notre poésie, peu ou pas de place pour le roman, peu ou pas de place pour la peinture et le théâtre. Est-ce normal qu’il y ait à chaque semaine dans trois de nos chaînes publiques entre six et dix heures d’émissions pour rire ? Je prendrais bien quelques-unes de ces heures pour rencontrer un chanteur, une chanteuse, un romancier ou un poète. Je voudrais le dire sans dénigrer pour autant l’humour.

Oui, choisir la culture est plus exigeant que le divertissement, mais c’est un choix de société et pour moi, il y a une différence entre un choix de société et des cotes d’écoute.

Durant les deux jours qui viennent, vous aurez la chance ou la malchance d’en apprendre bien davantage sur les différentes crises de la chanson. Problèmes de diffusion, problèmes de ventes de billets, problèmes de droits d’auteur.

Il y a vraiment beaucoup de problèmes à résoudre pour que la chanson existe mieux et existe plus. Je pense que nous sommes d’accord pour dire avec ceux et celles qui nous convient à cette réflexion, que les enjeux et les défis sont grands. Mais il faut aussi ne pas confondre les enjeux collatéraux avec une interrogation majeure : quelle place voulons-nous vraiment pour la chanson dans la culture ? Et cette question ne s’adresse pas seulement aux créateurs des chansons mais aussi à ceux et celles qui font vivre nos œuvres.

Le philosophe Vladimir Jankélévitch a écrit :
… la jeunesse rend tout le monde jeune, comme la poésie fait de chacun un poète !

Il suffit d’aller entendre le spectacle des Douze hommes rapaillés pour s’en convaincre. Nous sommes au plus proche de ce que peut faire la culture : provoquer chez l’humain l’élévation dont il a besoin pour espérer. La chanson, comme tous les arts, est un arrachement au réel. Nous avons besoin qu’on nous invite dans l’ailleurs. Nous avons besoin de savoir que nous sommes autre chose que des travailleurs ou des consommateurs. Il est bon pour les hommes et les femmes que nous sommes de retrouver notre noblesse. Je refuse l’idée que nos élévations, nos arrachements au réel et notre noblesse soient des concepts creux.

On nous a habitués avec trop de facilité à consommer. Même le malheur et les guerres se consomment. J’ai besoin de la chanson pour aller ailleurs, pour approcher la beauté. La chanson m’a si souvent permis d’espérer, de grandir, de rêver. La chanson sauve des vies, elle aide à vivre, elle aide à mieux comprendre nos complexités, nos contradictions, nos divagations, nos égarements. J’aime savoir qu’elle peut continuer à faire son métier.
Simplement, sans prétention, sans exagération. J’aime qu’elle prenne ma main pour m’aider à rester debout et vivant.

Mais je pense aussi qu’elle a besoin d’être défendue par chacun de nous. Je pense que nous devons refuser qu’on oublie sa grandeur, qu’on oublie qu’elle n’a pas à être traînée dans les marges de la consommation parce que nous manquons d’imagination. Elle peut encore être un refuge quand l’insignifiance déferle sur nous.

Je relisais récemment un livre du philosophe Peter Sloterdijk, Essai d’intoxication volontaire. Il disait ceci de la mission de l’écrivain. Je pense qu’on pourrait très facilement le dire aussi de la chanson.

La mission de l’écrivain n’est pas d’être anodin. Il me semble que nous avons oublié ce qu’est un écrivain et ce qu’il fait lorsqu’il se consacre à son métier. Les écrivains sont des expérimentateurs. Leur boulot, c’est de dépister ces substances dangereuses que l’on appelle les thèmes, les thèmes profonds de leur époque, ces thèmes sont traités, décomposés, filtrés, renversés et recomposés par les auteurs. Il s’agit d’un boulot (…) risqué.

Un peu plus loin il ajoute :
C’est un sérieux symptôme du déclin de la vie publique, lorsque même les critiques, (…) ne comprennent plus ce que fait un auteur en menant des expériences sur des aspects explosifs des matériaux dangereux .

Cette mission de l’écrivain, c’est peut-être aussi celle du chanteur, du parolier et du musicien. Pouvoir dire qu’il y a des secousses sismiques en chaque être humain. Pouvoir dire que nous avons besoin d’être réveillés.

Et Sloterdijk en ajoute une dernière :
Toute personne disposant d’un téléviseur peut s’écœurer de tout .

C’est par écœurement justement qu’on finit par éteindre. Vivement la culture, vivement le retour de la chanson dans la culture.

Si la culture est un arrachement au monde ou au réel, elle n’est pas un aveuglement, une manière de m’endormir, un détournement de l’esprit. Il y a une réclame de bonheur dans l’histoire de notre chanson qui mérite d’être entendue. Elle est là cette réclame. Elle nous vient des artistes eux-mêmes.

Elle nous vient des artistes de tous les âges. Je l’entends tout autant chez Lucille Dumont que chez Bernard Adamus. Elle ne vient pas d’un son mais du sens”.

MARC CHABOT

Avec les  remerciements de Planète Francophone au Forum de la Chanson Québécoise pour l’autorisation de reproduction de ce texte.