Soyons francs : dans l’abondante production discographique francophone d’Amérique du Nord, “Le Bonheur Domestique” est une véritable curiosité, au sens noble du terme. Il est en effet extrêmement rare qu’un album composé exclusivement de nouvelles chansons en français soit enregistré à Terre-Neuve

PF COLLEEN POWER TATOUAGE

Photo signée Roger Maunder parue sur le site de la chanteuse

2006 : “Premier album de chansons françaises contemporaines paru à Terre-Neuve”

Cette vaste île de 402 346 km2 est devenue la dixième province du Canada le 1er avril 1949. Et aujourd’hui plus que jamais l’influence de la langue anglaise y demeure prédominante ! Terre-Neuve est la province la plus unilingue de tout le Canada avec 97,5 % d’anglophones. Et les francophones y représentent moins de 1% de la population !

Connue pour divers albums et concerts en anglais, Colleen Power n’a pas baissé les bras depuis son premier opus entièrement en français, “Terre-Neuvienne” paru en 2006.Un sacré événement puisque selon Le Gaboteur, journal francophone de Terre-Neuve, il s’agissait du “premier album de chansons françaises contemporaines paru à Terre-Neuve”. Pas moins que cela !

Nombre de témoignages de soutien se manifesteront pour la sortie de cet premier album entièrement en français, tel Marc Chouinard, directeur du Théâtre Capitol de Moncton, Nouveau-Brunswick, observateur d’autant plus averti de la scène francophone qu’il en a été un des pionniers en coulisses, notamment avec le groupe acadien 1755. 

D’où ses propos enthousiastes parus en 2006 : “Quelle fraîcheur! Quel beau son nouveau ! Colleen Power donne un nouveau sens à la chanson française en y intégrant sa sensibilité toute terre-neuvienne. Son “Fantôme Denis” me hante depuis la première écoute. D’autres SVP”.

PF CD COLLEEN POWER

7ème album enregistré par Colleen Power et 2ème entièrement en français : un événement dans la francophonie de Terre-Neuve

“Je suis tellement chanceuse d’avoir les amis francophones qui m’aident avec la grammaire”

Aujourd’hui, avec ce nouvel album à la pochette rétro, toujours pas de  reprise de chants traditionnels mais bel et bien un évident sens de la créativité, un répertoire original que cette artiste met en valeur avec bonne humeur et talent. Et une meilleure maîtrise de la langue française qu’en 2006 !

Pour mieux faire face aux subtilités de la langue française, elle a repris ses études, décrochant son diplôme Universitaire en mai 2010, comme elle le raconte dans les “remerciments” du livret : “Je suis tellement chanceuse d’avoir les amis francophones qui m’aident avec la grammaire : Aneirin Thomas et Xavier Georges, ma sincère gratitude !

S’il y a encore des anglicismes, c’est ma faute à moi ! Je voudrais remercier mes professeurs de français 2008-2010 : Gérard Castagné, Jean-Marc Lemelin, James Maclean, Virginia Harger-Gringling, Philipe Basabose, Peter Ayers et Aileen MacDonald.

Je veux remercier mes amis que j’ai rencontrés pendant ma parcours au monde de la musique francophone : Louis Royer, Marc Chouinard, Jacinthe Tremblay, Marc Lalonde, Fred Paturel, François Guy, Samuel Chiasson et tous les DJs qui font tourner mes tunes”.

Au-delà de cette énumération à priori fastidieuse, une évidence s’impose : cet album résulte d’une détermination qui n’est pas seulement artistique mais bel et bien enracinée dans l’amour de la langue française. Cette belle aventure collective ne se résume surtout pas à des retrouvailles dans un studio pour enregistrer des chansons : cet opus constitue l’aboutissement d’un travail de longue haleine entre études universitaires et composition de nouvelles chansons ! 

Car si cette auteure-compositrice-interprète a décidé de récidiver avec un 2ème opus six ans après son premier enregistrement en français, il ne s’agit vraiment pas d’un choix stratégique en termes de carrière. 

Et d’aussi loin qu’elle peut se rappeler, Colleen Power a toujours eu un penchant pour la langue française. Originaire de la baie de Plaisance, ancienne capitale française de Terre-Neuve. Elle a étudié à l’Université de Memorial à Terre-Neuve et effectué un cours d’immersion française à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

Ses voyages sur l’archipel  français de St-Pierre et Miquelon, au large de Terre-Neuve, ont inspiré les premières chansons de son répertoire francophone. En diversifiant largement ses sources d’inspiration, la maman de Robyn, Clare et Ida – citées en début des remerciements – a pris une belle assurance.

Reprise de “O Marie” de Daniel Lanois

Elle n’hésite pas à se  mettre en scène dans cet opus aux influences musicales éclatées, avec sons électros dans “Le Bonheur Domestique”, refrain folk pour “L’Histoire d’amour” et  “Le soleil montréalais” dont l’omniprésent ukulélé adoucit la portée du texte : “Je crois que j’ai besoin d’un long voyage là-bas loin de toi mon amour”.

En plus des chansons originales signées Colleen Power, l’album comprend aussi trois titres écrits avec ses amis J. Frost, Sandy Morris et Aneirin Thomas. S’y glisse aussi une brève comptine traditionnelle chantée par sa fille Clare ainsi que “O Marie” de Daniel Lanois :  Colleen Power offre une version à la fois douce et intense de cette histoire d’ouvrier travaillant avec acharnement “au tabac sous la pluie et loin de sa blonde”.

Mère de famille, la chanteuse s’est inspirée de son quotidien pour ses chansons, dont la plupart sont liées à des anecdotes, des tranches de vie, des constats. D’où la participation de sa fille Clare sur une chanson qui lui est consacrée d’elle et … “Le micro-onde”, qui n’est pas vraiment une chanson mais plutôt un surprenant monologue avec en fond sonore un micro-onde !

Humour et dérision sont aussi au rendez-vous de cet opus qui s’ouvre sur un drôle de copain qui ne comprend pas grand-chose ! D’où le savoureux clip inspiré de cette chanson, à découvrir en fin d’article ! 

Voix, percussions, guitare, claviers, basse, flûte irlandaise, ukulélé mais aussi … bruits électroménagers, casseroles et micro-ondes,  (mais oui !) : la polyvalence de Colleen Power réserve bien des surprises. Et pour enrober ses chansons aigres-douces, à la fois joyeuses et lucides, elle s’est entourée d’une efficace bandes de musiciens terre-neuvins : banjo, violon, basse, batterie accordéon, mandoline, piano, harmonica, bodhran, etc.

FrancoFête 2007, Moncton, quelques minutes avant le Cercle de la SOCAN. L'Acadie dans sa diversité avec de gauche à droite Pascal Lejeune (Nouveau-Brunswick), Colleen Power (Terre-Neuve), Isabelle Cyr (Nouveau-Brunswick), Angèle Arsenault (Ile du Prince Edouard) et Ronald Bourgeois (Nouvelle-Ecosse)

FrancoFête 2007, Moncton, quelques minutes avant le Cercle de la SOCAN. La chanson francophone dans sa diversité avec de gauche à droite Pascal Lejeune (Nouveau-Brunswick), Colleen Power (Terre-Neuve), Isabelle Cyr (Nouveau-Brunswick), Angèle Arsenault (Ile du Prince Edouard) et Ronald Bourgeois (Nouvelle-Ecosse) PHOTO ALBERT WEBER

“La Bonne Cause” : “Je suis ici à côté de toi mais la seule chose que tu vois est l’écran de ton Iphone”

Album destiné à un large public aimant la chanson d’expression française ? Oui évidemment, même si nombre de clins d’œil sont lancés ici et là sont liées à sa situation personnelle.

Mais attention, il ne s’agit pas d’un album nombriliste comme en témoignent certains titres chansons dont le percutant “La Bonne Cause” aux paroles des plus réalistes. “Il faut se battre pour la bonne cause, il faut retrouver l’amour” : derrière ces paroles apparemment désarmantes de naïveté se cache un texte intense. Et dénonciateur face aux technologies envahissant la vie privée (“Je suis ici à côté de toi mais la seule chose que tu vois est l’écran de ton Iphone”) … et face à des constats d’ordre plus général :

“Nous avons perdu la connexion

Le gouvernement a coupé le financement

Des organisations

De défense des femmes

Des ressources humaines

Des personnes handicapées

Des personnes sans domicile

Les dépenses militaires

Un record depuis 60 ans

Au Canada plus de quatre-vingt

Personnes dans domicile fixe

Mortes de faim” 

Paroles dures auxquelles succède “Une nouvelle chanson » teintée d’espoir, aux voix féminines mêlées avec délicatesse de Colleen Power et Mary Barry, chanteuse de jazz et de blues originaire de St-Jean et artiste bilingue d’envergure internationale.

PF COLLEEN POWER domicile

Photo de la chanteuse terre-neuvienne parue sur sa page myspace

Une artiste vraiment à part dans la chanson francophone d’Amérique du Nord

L’harmonica offre une couleur des plus rythmées à “Mes électroménagers”, chanson qui donne envie de battre le rythme avec les mains ou les pieds  ! Le thème est pourtant des plus étranges : la présentation des appareils électroménagers, bruits à l’appui ! Une vraie visite guidée dans la bonne humeur pour célébrer (non sans autodérision) le “bonheur domestique” grâce aux multiples appareils ayant envahi la cuisine !

“Je voudrais être heureuse et pas riche” chante aussi cette Terre-Neuvienne, figure vraiment très à part, voire marginale dans la chanson francophone d’Amérique du Nord. Marginale sans doute de par sa situation géographique et pourtant nourrie d’inspirations universelles tant les sujets de ce fameux “Bonheur Domestique” se retrouvent dans tous les pays de tous les continents.

Un album-puzzle de 36 minutes et 16 secondes aux sons souvent inattendus, inventifs et déroutants sur des thèmes peu mis en évidence dans les chansons. Son écoute répétée en voiture, sur la (longue) route menant de Saint-Bruno de Montarville vers le festival de Petite-Vallée en Gaspésie aura été synonyme de découverte au sens fort du terme. A savourer, à encourager

 

 Clip de “Mon copain ne comprend rien”, premier des 13 titres de ce CD produit et réalisé par Colleen Power

 

Site officiel : www.colleenpower.com

TEXTE ALBERT WEBER