Chanteuse d’Alsace est sans doute l’expression qui convient mieux à l’auteure-compositrice-interprète Sylvie Reff, souvent qualifiée de “chanteuse alsacienne”.

Et à vrai dire, pour être encore plus précis, cette artiste originaire de Bischwiller s’affirme plutôt comme une artiste sans frontières tant par les thèmes de ses chansons que les langues mises en évidence.


“D’Zitt isch do” (le temps est arrivé), c’est le titre du concert de plus d’une heure et quart offert mardi 13 mai 2014 à la MAC de Bischwiller. Cette soirée témoigne avec brio d’une évidence : impossible d’enfermer dans un registre régional cette créatrice traduite dans une dizaine de langues et auteure d’une quinzaine de livres : romans, poésie, anthologies, pièces de théâtre, etc.

Retour sur une soirée intense en émotions et voyages entre Alsace, Tibet, Amériques du Nord et du Sud et  et Tchoukotka.

 

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Impossible de réduire Sylvie Reff à des chansons uniquement enracinées dans l’Alsace

D’emblée, après un texte poétique offert au public alors que la salle et la scène demeurent encore dans la pénombre, Sylvie Reff donne le ton de la soirée en se mettant dans la peau d’une vieille dame ayant échoué dans une maison de retraite.

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Ça y est, la natte va être coupée chez la vieille femme qui la portait depuis plus de 80 ans…

De Zopf : une natte chargée de tant de souvenirs

Et quand la scène s’éclaire, une jeune aide-soignante vêtue de blanc vient la voir pour lui enlever sa natte (De Zopf) jamais coupée depuis plus de 80 ans ! Symbole violent d’une terrible dépersonnalisation avec les inévitables conséquences provoquées chez la femme âgée désormais dépouillée de sa personnalité, de ses valeurs, de sa raison de vivre.

Certes – et c’est un des repères essentiels de ce spectacle – la langue maternelle occupe une place de choix dans le répertoire de Sylvie Reff. Mais attention, surtout pas une langue alsacienne enlisée dans le passé, ni dans un registre folklorique entre choucroute et Route du Vin, cigognes et maisons à colombages.

Ici pas de carte postale festive du genre “Que notre Alsace est belle avec ses frais vallons”. Certes, Sylvie Reff a les deux pieds bien plantés dans sa région natale, mais sa tête, ses sources d’inspiration – et aussi ses engagements –  ne se limitent pas à la plaine entre Vosges et Forêt-Noire.

Pas étonnant donc qu’elle rende hommage entre deux chansons, à Claude Vigée, une des figures incontournables de la poésie alsacienne, lui aussi auteur sans frontières.

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Plus d’une heure et quart entre chansons et poésies sans frontières

Faire vivre sa langue maternelle

C’est avec émotion qu’elle rappelle diverses facettes de son enfance vécue à Bischwiller, entre autres les métiers et les objets d’antan disparus à l’instar de certaines valeurs qui tendent, elles aussi, à s’évanouir dans “notre société de consommation” comme elle l’affirme entre deux chansons, insistant sur la tolérance et l’écoute, le respect de l’autre aussi.

Et quand elle évoque la communauté juive d’avant la Seconde guerre mondiale, et ses amis d’enfance emportés par le nazisme – alors que “les nuages voient tout et demeurent silencieux” – on sent une émotion palpable chez Sylvie Reff.

En l’occurrence non pas une chanteuse, mais plutôt une femme qui chante. Nuance de taille, car il ne s’agit pas ici de “se produire en spectacle” mais de laisser parler son cœur et sa raison aussi. Notamment quand elle évoque le destin des femmes travaillant à la ferme et dans les champs, dans l’attente (impatiente) des maris partis à la guerre …

Extrêmement sensible au besoin de continuer à faire vivre sa langue maternelle, Sylvie Reff s’adresse à un bébé alsacien, le prenant dans ses bras. Histoire de le rassurer sur ce qui l’attend, sur la manière dont on lui transmettra l’alsacien. Tout en douceur bien sûr, et en même temps avec une détermination empreinte de respect et d’attention envers celui qui a encore tout à apprendre de la vie.

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Et voilà un bébé alsacien qui a encore tout à apprendre de la vie !
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De l’importance de transmettre sa langue maternelle …

Photos d’ici et d’ailleurs, symboles de chansons poétiques et engagées

Paysages et visages, animaux et nature : les images choisies par André et Barbara Stern – mentionnés dans les remerciements par Sylvie Reff en fin de concert – offrent un incontestable plus à cette soirée.

Qu’elle parle des Tibétains, ou des “Mères de mai” en Argentine –  ces mères de prisonniers politiques disparus sous la dictature, notamment jetés des avions dans la mer, pieds et poings liés – ou qu’elle évoque le détroit de Béring avec ses habitants en quête d’identité, Sylvie Reff joint à chaque fois paroles, musiques et photos en arrière-plan.

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Chanson sur les “Mères de Mai”, opposantes à la dictature en Argentine

A travers ces escapades vers des peuples lointains, vers des cultures en quête de reconnaissance, Sylvie Reff avance avec une obstination souriante,  poétique et réaliste également.

Ici pas de voyage en quête d’exotisme vers des ailleurs synonymes d’évasion et de farniente, mais à chaque fois un regard de femme lucide sur un monde en pleine évolution.

La langue alsacienne peut mettre en valeur des réalités contemporaines sans s’enliser dans la folklorisation des êtres, des situations, des cultures d’ailleurs. Une évidence développée durant toute la soirée par cette attachante créatrice.

Même registre tout aussi réaliste à l’évocation de ses parents, voire de ses  grands-pères partis à la guerre, entre France, Sibérie et jusqu’au Tonkin !

Et chaque photo illustrant chaque chanson accentue l’intensité des paroles et des musiques, et suscite une belle intimité avec un public tout à tour silencieux et attentif, puis enthousiaste et généreux dans ses applaudissements.

Français, alsacien, allemand et anglais alternent avec grâce dans ce récital sans temps mort qui offre aussi un détour du côté du tchouktche : une langue parlée par un peuple en voie de disparition, établi sur la presqu’île de Tchoukotka, dans l’Extrême-Orient de la Russie.

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Loin de son Alsace natale, Sylvie Reff entraîne le public vers des cultures en danger, des langues menacées, des identités en perdition
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Évocation de la cité de son enfance, et de ses amis juifs disparus dans la tourmente nazie

Barack Obama : un ancêtre nommé Christian Gutknecht et né à Bischwiller le 22 juin 1722

A plusieurs reprises, Sylvie Reff s’aventure dans le Bischwiller de sa jeunesse, avec au passage une information surprenante lorsqu’elle parle des très nombreux habitants ayant, au fil des siècles, quitté la cité pour trouver ailleurs de quoi vivre, notamment aux États-Unis !

Et voilà comment on apprend qu’un ancêtre de l’actuel président des États-Unis, Barack Obama, est originaire … mais oui … de Bischwiller !

Incroyable mais vrai ? Oui comme le confirment avec force détails divers sites généalogiques, dont les recherches du journaliste Michel Arnould et de Christian Gunther, archiviste de Bischwiller.

En effet, c’est en 1749 que Christian Gutknecht né à Bischwiller le 22 juin 1722 et sa femme Maria Magdalena née Grünholtz, et également native du coin, ont émigré vers Germanstown en Pennsylvanie en raison de la situation catastrophique de l’économie alsacienne provoquée par la Guerre de Succession autrichienne (1740-1748).

Rapidement anglicisé, leur nom est devenu non pas Goodknight comme on aurait pu s’y attendre, mais Goodnight ! Une de leurs petites-filles, Catherine, épousera Jacob Dunham, ancêtre à la  cinquième génération de la mère de Barack Obama. Hé oui !

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Trois générations d’Alsaciennes réunies sur la scène du MAC à Bischwiller
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Jetée en l’air, la fameuse natte coupée en début de soirée vient d’être remise à Sylvie Reff par la petite Maïa accompagnée de sa mère

Trois musiciens et … trois générations d’Alsaciennes

Entre chanson et poésie, Sylvie Reff évolue avec aisance sur la scène du MAC de Bischwiller, se déplaçant régulièrement de son piano au micro, le temps de présenter en quelques phrases en français et en alsacien la chanson suivante.

Preuve s’il en est qu’une telle soirée peut donc être pleinement appréciée, même si l’on n’est pas familier de la langue alsacienne !

Quant aux trois musiciens, ils mettent en valeur avec entrain les refrains de l’artiste parfois qualifiée de “Barbara d’Alsace” pour son phrasé et ses intonations. Un repère qui ne définit pas, à vrai dire, la diversité vocale de Sylvie Reff, efficacement secondée par Richard Siegrist à la clarinette, Yves Weyh à l’accordéon et  Tchacho Helmstetter au violon.

Le quatuor a été vivement applaudi entre chaque chanson par le public auquel Sylvie Reff a proposé, en en fin de concert, de “boucler la boucle”.

Oui, la fameuse natte coupée par l’aide soignante en début de soirée, il en a encore une fois été question lorsque Maïa, une de ses petites-filles, est venue sur scène accompagnée de sa mère : histoire de redonner la natte à Sylvie Reff ! 

Et voilà comment trois générations d’Alsaciennes se sont retrouvées face au public, pour chanter ensemble une berceuse alsacienne des plus connues. Un moment de tendresse (et d’affirmation de la langue régionale) savourée à sa juste mesure par l’assistance.

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Berceuse alsacienne reprise en chœur par les trois Alsaciennes
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En mémoire de ses parents …

Rendez-vous au Festival Summerlied le 15 août

Présentée pour la première fois dans sa ville natale, cette création en chants et poésie sera au rendez-vous du festival Summerlied le 15 août à Ohlungen.

Ce concert a d’ailleurs annoncé par Sylvie Reff en fin de soirée. L’affiche du festival créé par Jacques Schleef demeurait, elle, bien visible pendant que le public quittait la salle.

Nombre de spectateurs ont attendu Sylvie Reff dans le hall de la MAC, pour une chaleureuse séance de dédicaces de CD et de livres, dont “Schrei”, sa nouvelle publication trilingue.

Un livre dont le sous-titre est d’ailleurs “De Zopf”. Assurément le repère de cette soirée mais aussi une balise dans la création de Sylvie Reff, auteure d’un ouvrage trilingue du même titre paru en 1970 chez BF Editions, la maison d’édition d’Armand Peter. Un autre militant de longue date d’une langue maternelle à transmettre aux nouvelles générations.

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Prochaine présentation du spectacle “D’Zitt isch do” le 15 août au Festival Summerlied

 

TEXTE ET PHOTOS ALBERT WEBER

 

Voir ici précisions sur le prochain concert de Sylvie Reff