Dans la vie, il y a ceux qui empruntent des chemins bien balisés et qui ne s’en éloignent pas. Et puis d’autres qui aiment prendre des risques, s’aventurer au-delà des conventions et des habitudes. Quitte à déranger, à irriter aussi.

Évidemment dans le milieu artistique, c’est la même chose. Alors bravo à Luc Sotiras d’avoir programmé mardi 18 mars 2014 la Québécoise Klô Pelgag et l’Acadienne Marie-Jo Thério au premier soir de la 5ème édition du festival AAH ! Les Déferlantes !

Coup de projecteur sur une soirée pleine de surprises, d’émotion et de folie, à l’image d’une chanson francophone qui a envie et besoin d’aller au-delà des lignes droites, des conventions et des à priori.

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18 avril 2014, Train-Théâtre. Avant le concert, photo-souvenir de l’Acadienne Marie-Jo Thério entourée par les Québécoises Klô Pelgag et Geneviève Morissette, une des trois voix d’AAH ! Les Découvertes !

 

Klô et Marie-Jo : l’envie et le besoin de ne pas faire “comme tout le monde”, d’étonner et de surprendre à chaque concert

Une soirée pleine de surprises, d’émotion et de folie, à l’image d’une chanson francophone qui a envie et besoin d’aller au-delà de lignes droite : ainsi peut-on définir cette soirée à deux voix, entre l’Acadienne Marie-Jo Thério et la Québécoise Klô Pelgag.

Deux générations d’artistes unies par une  évidence : l’envie et le besoin de ne pas faire “comme tout le monde”, d’étonner et de surprendre à chaque concert.

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Une mise en scène aux nombreuses surprises

Douce folie et sens inné du spectacle

A force de la voir et de la revoir en Acadie et au Québec au gré des festivals et des rencontres professionnelles, une évidence s’impose : Klô Pelgag est assurément partie pour une belle carrière, et pas seulement dans son Québec natal.

La voici placée sur orbite dans le milieu de la chanson québécoise et plus globalement de la chanson francophone  avec plusieurs atouts majeurs. A commencer par des chansons qui tiennent la route tant par le choix des thèmes que les lignes mélodiques, mais également des mises en scène teintées de douce folie, avec un sens inné du spectacle.

Dès notre première rencontre, aux Rencontres d’Astaffort du côté de chez Francis Cabrel sous l’égide de Voix du Sud en avril 2012, cette jeune auteure-compositrice-interprète sortait incontestablement du groupe d’astagiaires. Tant par son comportement que ses chansons composées avec les autres jeunes artistes, Klô Pelgag avait dès cette époque insufflé un ton et un son étonnant et détonnant dans le groupe de jeunes artistes.

 

Photo-souvenir des 35èmes Rencontres : astagiaires, intervenants, permanents de Voix du Sud et responsables de l'association
10 avril 2012, 35èmes Rencontres d’Astaffort. La photo de groupe des astagiaires avec Francis Cabrel. Et il y en a une qui se fait remarquer au premier rang …

 

“J’écris des chansons pour mentir sans me faire chicaner. Inventer un monde plus intéressant que le quotidien »

Inventive et créatrice certes, mais en même temps embarquée dans une manière de penser et d’agir sans concessions, de manière à “se faire remarquer’ au sens fort du terme. Voir le reportage sur Klô Pelgag et les autres astagiaires dans le cadre d’un dossier en huit volets sur le site www.francomag.com en cliquant ici .

A lire notamment dans le volet 4 le témoignage de la jeune chanteuse répondant avec bon sens et fantaisie aussi à quatre questions posées à tous les astagiaires.

-1 Présentez-vous (ainsi que votre pseudo)
– 2 Pourquoi chantez-vous ? Ou composez-vous ? Ou écrivez-vous ?
– 3 Pourquoi avez-vous postulé pour les Rencontres ?
– 4 Qu’avez-vous appris des Rencontres ?

“J’écris des chansons pour mentir sans me faire chicaner. Inventer un monde plus intéressant que le quotidien » déclarait notamment la jeune artiste. Quatre réponses surprenantes à lire en les situant dans le contexte, avant que Klô Pelgag ne prenne son envol ! 

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Une sacrée équipe pour un … sacré concert !

 

L’alchimie des montres” : 13 titres, un univers noir et blanc sur des mélodies entraînantes

Klô Pelgag signe tous les “mots” et les musiques des 13 titres de son album “L’alchimie des montres”, à l’exception d’une chanson, “Le tronc”, pour laquelle son frère a coécrit la musique. Mathieu Pelgag joue d’ailleurs un rôle primordial dans cet opus dont il a assuré les arrangements et les orchestrations. 

Mais attention ! Cet album ne révèle pas l’intégralité du talent de cette artiste. Car pour bien cerner sa personnalité et son talent, il faut la voir sur scène pour vraiment se rendre compte de l’ampleur du “phénomène”.

Très à l’aise, secondée par d’excellents musiciens, Klô la surréaliste se jette à fond dans la bataille entre moments déjantés (avec sabre laser et casque à la main) et d’autres plus calmes mais tout aussi intenses au niveau des textes, en piano-voix.

Musicienne avertie, elle aura offert soir après soir dans cette longue tournée entre France et Suisse, l’image d’une artiste des plus dynamiques. Pas une de ces chanteuses consensuelles, souriantes sur commande et bien coachées pour offrir le profil le plus lisse  possible afin de retenir l’attention du plus grand nombre de spectateurs d’un bord comme de l’autre de l’Atlantique. Pas de ça chez l’extravertie Miss Klô !

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Entre douceur et folie, un concert délicieusement déjanté

Une manière originale de raconter la vie à la fois poétique et réaliste

Chloé Pelletier-Gagnon s’est forgé une personnalité bien à elle, se transformant en adoptant un pseudonyme enraciné dans son prénom et la contraction de ses deux patronymes.

Et il faut vraiment écouter ses chansons à tête reposée – loin du tumulte et de l’exubérance de son concert – pour en saisir l’intensité, la tendresse, la douleur aussi. Elle possède une manière originale de raconter la vie à la fois poétique et réaliste, et il faut plus d’une fois l’écouter au-delà des mots qui surgissent et des images qui s’affichent.

En témoigne par exemple “La fièvre des fleurs” sur la fin de vie d’un proche :”Elle est partie en Leucémie/ Elle m’a laissé tous ses livres, elle est partie vivre / A Chimiothérapie, à Chimiothérapie / C’est un nouveau pays”

A vrai dire, quand on prend le temps d’écouter Klô Pelgag, on se rend compte que ses chansons n’engendrent pas spécialement la bonne humeur ni une franche rigolade, entre désillusion et rupture dans le touchant “Comme des rames” diffusé samedi 29 mars sur France-Inter en fin d’émission par Philippe Meyer (“La prochaine fois je vous le chanterai”) …

A l’instar du duo Rita Mitsouko qui faisait danser sur le tragique destin de leur amie emportée par le cancer (“Marcia Baila”), Klô Pelgag embarque, elle aussi, son auditoire dans un univers doux-amer, souvent très sombre, mais sur des mélodies explosives de vie, de vitalité comme leur créatrice.

Souvent comparée et à juste titre à Diane Dufresne à ses débuts, Klô Pelgag assume avec brio sa fantaisie et son apparence déjantée. Un tel parti pris artistique ne pourrait pas tenir la distance s’il ne reposait pas sur un solide répertoire.

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Un spectacle sans temps mort avec des musiciens très complices

“Merci à la Coop des Faux-Monnayeurs de supporter mes idées sans compromis”

Reste une évidence dont la jeune chanteuse est des plus conscientes : avoir du talent, de l’inspiration et se forger une personnalité publique retenant l’attention au gré des concerts, c’est une chose.

Mais bénéficier d’une solide équipe professionnelle sachant mettre en relief ces qualités est indispensable, voire vital si on veut sortir de l’anonymat.

D’où la citation relevée dans la pochette du CD “L’alchimie des monstres”. Elle résume bien la complicité tissée entre elle et la structure qui lui a permis de décoller, cette fameuse coopérative québécoise mettant en valeur des talents fort variés (Les Tireux d’Roches; Sagapol; Henri Godon; Guillaume Arsenault; Nomadic Massive, etc) : “Merci à Jean-François Guindon pour ta détermination et ton audace. Merci à la Coop des Faux-Monnayeurs de supporter mes idées sans compromis”.

 

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Une artiste à part dans le paysage musicale québécois

Marie-Jo Thério : un feu d’artifice d’une bonne heure sans Evangéline et avec éclat

 

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Bien dans sa peau pour un décoiffant voyage d’une bonne heure

 

La seconde partie de la soirée a été assurée par Marie-Jo Thério, seule au piano. Ceux qui s’attendaient à un enchaînement de chansons aux couplets et refrains en ont été pour leurs frais.

Et ceux qui s’attendaient à ce que l’auteure-compositrice-interprète reprenne ses titres les plus connus, dont “le Café Robinson” (clin d’œil à Moncton, sa ville natale), sont repartis déçus. Idem pour ceux qui s’attendaient à vibrer encore une fois au tragique destin de la Belle Évangéline passant sa vie entière à retrouver obstinément la trace de Gabriel, son inoubliable amoureux.

Bon, il  est vrai que cette chanson au texte signé Michel Comte est sans doute la plus connue de tout le répertoire de Marie-Jo Thério.

Et il y a de quoi être ému en découvrant la tragique histoire du couple mythique symbolisant toutes les séparations subies par le peuple acadien broyé par le Grand Dérangement de 1755. Mais de là à ce que Marie-Jo Thério la chante à chacun de ses concerts, il y a un pas … que l’artiste ne franchit pas.

A vrai dire, avec Marie-Jo Thério la rebelle, il ne faut pas “s’attendre à” … !

Il faut tout simplement se laisser embarquer par elle sur une planète francophone aux frontières mal définies. A l’instar d’un puzzle dont elle se plaît à disperser et puis à reconstituer les morceaux à chaque concert, en les présentant de manière différente à chaque fois, le répertoire de cette artiste majeure de la chanson acadienne n’est jamais le même d’une soirée à l’autre.

 

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Expressive, très à l’aise …

 

Un feu d’artifice aux applaudissements des plus mérités

Pas question pour Marie-Jo Thério d’offrir à chaque fois les mêmes “tounes” en les colorant avec les mêmes arrangements, les mêmes intonations, les mêmes effets vocaux.

Oui, vous avez raison : il y a de quoi dérouter le public, ou du moins celles et ceux qui ne connaissent pas et/ou n’apprécient pas de se laisser ainsi mener en bateau par Marie-Jo, à la barre d’une embarcation voguant au gré de son inspiration, de son humeur, de son imagination. Et dès les premières minutes, dès la première chanson, elle a montré au public la voie qu’elle allait emprunter en ce mardi 18 mars !

En débutant son récital par une chanson improvisée de près de dix minutes, Marie-Jo Thério s’en est allée sur des chemins de traversée entre “mémoire ferroviaire” de Moncton, café américain et “Hôtel des Négociants” de Valence …

De quoi surprendre l’auditoire qui n’a cependant pas été avare en applaudissements. Bien au contraire comme le confirme l’enregistrement de ce concert entièrement réécouté, à tête reposée, avant la rédaction de cet article. D’ailleurs à l’issue de chaque titre de l’artiste, l’assistance lui a offert des applaudissements bien mérités, même si ici et là des spectateurs ont préféré quitter la salle, sans doute désemparés face à un tel feu d’artifices de sensations et d’émotions.

Car en fait Marie-Jo Thério ne chante pas : sa voix, elle s’en sert comme d’un incroyable instrument de musique… Elle parle, murmure, chuchote, crie, hurle, vocalise, élève la voix et s’adresse au public comme si elle lui faisait des confidences. Inspirée en permanence par une incontestable aisance scénique, Marie-Jo ne se laisse pas fragiliser par un incident, en l’occurrence son xylophone qui lui joue des tours.

 

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Un piano-voix aux multiples surprises

 

“Il nous manque un petit peu l’odeur de ton cigare mais tu es bien là … merci Maurice Segall et merci Luc pour assurer la suite”

Et son piano, elle en joue à tous les sens du terme. Assise ou debout, face au public ou concentrée sur son clavier, la chanteuse acadienne s’en donne à cœur joie.

Et voilà qu’une heure après la début de son concert, elle reprend, une fois encore, la parole. Non pas pour parler de “la prochaine chanson” mais pour lancer un salut fraternel à Maurice Segall, créateur des Déferlantes Francophones de Capbreton. 

“Si je parlais de la mémoire des lieux un petit peu en début de spectacle, c’est parce que je pensais aussi en arrivant à Portes-lès-Valence à une personne dont j’ai ressenti très rapidement – il y a une suite des choses – l’énergie déployée dans l’amour et dans un effort extraordinaire qui était celle de Monsieur Maurice Segall .

C’est quelque chose qui vit encore ici dans ces Déferlantes et je voudrais en profiter pour saluer Maurice qui supposément n’est plus de ce monde mais qui est tout à fait avec nous quand même à travers ce magnifique festival qui s’appelle Aah ! Les Déferlantes !  Il nous manque un petit peu l’odeur de ton cigare mais tu es bien là … merci Maurice Segall et merci Luc pour assurer la suite”.

 

Eté 1999, Acadie et Québec à l'honneur aux Déferlantes Francophones de Capbreton. De gauche à droite Jim Corcoran, Ronald Bourgeois, Marie-Jo Thério, Albert Weber, Maurice Segall et Alcide Painchaud, du groupe Suroît.
Eté 1999, Acadie et Québec à l’honneur aux Déferlantes Francophones de Capbreton. De gauche à droite Jim Corcoran, Ronald Bourgeois, Marie-Jo Thério, Albert Weber, Maurice Segall et Alcide Painchaud, du groupe Suroît décédé le 13 janvier 2002

Cette émouvante évocation de Maurice Segall – un des incontestables pionniers de la promotion de la chanson francophone d’Amérique du Nord en France – a été vivement applaudie par l’assistance.

Même réaction du public deux soirs plus tard lors du concert du Louisianais Zachary Richard qui a dédié à Maurice Segall la chanson “Petit Codiac” co-écrite avec l’Acadien Denis Richard. Nous y reviendrons dans un prochain article.

 

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Se donner à fond, quitte à sortir des sentiers battus
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Déroutante pour les uns, attachante pour les autres, Marie-Jo Thério ne laisse personne indifférent. Elle s’affirme plus que jamais comme une voix UNIQUE dans la chanson francophone d’Amérique du Nord

 

Texte et photos Albert WEBER

A suivre …