Soyons francs, la question mérite d’être posée sans détours : pour quelles raisons Stéphane Côté n’est-il pas plus connu du grand public, aussi bien au Québec qu’en France ? Textes ciselées, mélodies douces-amères et cependant accrocheuses mais sans effets spéciaux, univers à la hauteur des exigences de cet attachant auteur-compositeur-interprète. Autant d’incontestables atouts mis en évidence via ses trois premiers opus : Rue des Balivernes (2001), Le cirque du temps (2006) et Des nouvelles (2009).
Un incomparable homme-orchestre nommé Eric Goulet
Et voici Ballon d’héliHomme, 4ème album de cet auteur-compositeur-interprète québécois de 42 ans : 12 nouvelles chansons plus que jamais à la mesure d’un talent affirmé avec constance tant en studio que sur scène. Sans doute l’album de la maturité.
Travail d’orfèvre ? Assurément tant sur le fond que la forme grâce à une complicité sans failles entre le chanteur-guitariste et cet incomparable homme-orchestre nommé Eric Goulet : guitare, basse, claviers, harmonica, banjo, percussions … et choriste ! Lequel assure aussi – avec brio – réalisation, arrangements et direction musicale de cet album synonyme de réussite au sens fort du terme. Sans oublier l’efficace et discret Vincent Carré à la batterie.
C’est dire l’importance de la poignée de talents réunis pour cet opus dont la direction artistique et la coordination sont signées Marie Bujold. Cette production de François-José Brouillette (Bleu Plume) est à découvrir de toute urgence, et je pèse mes mots. Tous deux sont longuement remerciés – parmi nombre d’autres professionnels – sur la pochette intérieure de l’album avec en guise de conclusion “une pensée pour Bruno”…
La chanson québécoise s’exprime ici avec une intensité qui devrait retenir l’attention de tout (authentique) passionné de chanson francophone. Car au-delà des textes et des refrains signés Stéphane Côté, une évidence s’impose : l’incontestable qualité apportée à cet album dont les guitares acoustiques offrent un incontestable plus comme dans le réaliste “En attendant l’hécatombe” :
“Le désert s’allonge un peu dans tous les sens
Avec du recul on songe qu’on avance
Quand le sable doux nous conduit à l’errance
On cherche un caillou pour s’accrocher la chance “
En duo avec Brigitte Saint-Aubin et Linda Lemay
S’y glissent deux duos où les choses de la vie sont évoquées avec lucidité. Comme si le temps était le maître absolu de toute destin, qu’on le subisse ou qu’on tente de le maîtriser. Le duo avec Linda Lemay, “Au large de nous”, nous entraîne dans une ambiance teintée de tendresse et de réalisme : histoire d’une relation qui se délite inexorablement :
“Que se lève la tempête un immense ouragan
Qu’il emporte ce qu’il reste de nous
Pour un ultime naufrage pour trouver le courage
De revivre enfin seuls libre et debout”
L’autre duo enregistré avec Brigitte Saint-Aubin souligne avec justesse la difficulté de s’apprivoiser, de franchir le pas, de maîtriser le temps qu’exige une vraie relation à deux :
“C’est vrai qu’il y a de l’attraction
Entre nous deux
Que même à la télévision
Ils ne font pas mieux
Que même sans se voir on se perd
Dans le labyrinthe de nos yeux
On a peut-être ce qu’il faut pour se plaire”
Un chanteur québécois aux chansons de portée internationale par ses sources d’inspiration
Sensibilité, bon sens et clairvoyance
Difficile d’extraire “une chanson préférée” parmi la douzaine qui compose cet opus. Osons tout de même le défi en mettons en relief “Couleur de mélodie”, qui symbolise avec justesse le pari relevé tout au long de cet album par cet ACI québécois.
Chaque chanson de cet album permet à Stéphane Côté d’exprimer une sensibilité, un bon sens et une clairvoyance sur les êtres et la société qui n’a rien de superficiel ou de mièvre. Un album – reflet d’un répertoire qui ne cesse de ne bonifier au fil des ans, au gré des concerts au Québec, en France … et aussi en Suisse aussi où “Ballon d’héliHomme” a bénéficié d’un lancement à l’instar de celui de Montréal et de Québec (Espace Félix Leclerc, Ile d’Orléans).
Ballon d’héliHomme résulte de la complicité d’une poignée de professionnels mobilisés pour un album dont l’écoute répétée permet – à chaque fois – d’en découvrir de nouveaux aspects. Un de ces enregistrements qui vous donnent assurément envie d’y revenir, par exemple en se déplaçant en voiture. Histoire de se laisser embarquer dans un univers où rien n’est figé d’avance, où la ligne entre lumière et obscurité n’est pas toujours perceptible. Où les paroles affirmées avec conviction sont, parfois, moins importantes que les non-dits, les émotions suggérées à mots couverts.
Une chanson d’expression française évidemment, teintée ici et là d’accents folk et country qui en rehaussent l’impact
Cet album n’a rien à voir avec celui d’un chansonnier québécois des fameuses boîtes à chanson d’antan s’accompagnant seul à la guitare. Il s’inscrit dans une double dynamique, tant au niveau des paroles, avec des textes sans doute encore plus personnels que sur les trois précédents opus. Mais aussi au niveau de ses couleurs musicales : une chanson d’expression française évidemment, teintée ici et là d’accents folk et country qui en rehaussent l’impact.
Que de chemin parcouru avec obstination et talent par Stéphane Côté 1996, lorsqu’il se retrouve en demi-finale au Festival international de la chanson de Granby ! Et oui, il est plus que temps qu’il trouve enfin sa place parmi les créateurs majeurs d’une chanson québécoise à la fois grand public et de qualité. Une chanson qui refuse à la fois l’élitisme pour intellos heureux de (sur) vivre dans leur ghetto branché … mais aussi une certaine facilité dans les paroles et la musique à l’instar de ces voix que la foule adore le temps d’une mode. Des voix souvent synonymes d’étoiles filantes certes fascinantes et attirantes mais si éphémères, dans la plupart des cas.
Par ailleurs auteur de trois chansons sur “Si fragile univers”, le nouvel album de Lina Boudreau, Stéphane Côté dispose de tout ce qu’un artiste de son expérience a besoin pour ENFIN franchir une nouvelle étape. En l’occurrence celle qui le fera connaître d’un plus grand nombre de personnes, des deux côtés de l’Atlantique.
Mais encore faut-il que les « grands médias » et les radios-télévisions offrent une réelle visibilité à cet album enraciné dans un vécu québécois (“Il neige”) et cependant de portée internationale de par son inspiration à multiples facettes.
Un album enraciné dans un vécu québécois (“Il neige”) et cependant de portée internationale de par son inspiration à multiples facettes
Des mots simples qui font tilt et interpellent tant le coeur que la raison
Le talent de Côté, c’est de raconter les choses de la vie avec des mots simples qui font tilt et interpellent tant le coeur que la raison. Avec en prime une diction sans failles qui permet de savourer chaque mot de chaque chanson et une voix qui fait parfois – au gré de diverses intonations et d’un certain phrasé – penser à celle du chanteur du groupe québécois Les cowboys Fringants … et vice-versa.
Peintre d’un quotidien entre réalisme et espoirs, avec des envies d’utopies et de rêves, Stéphane Côté cultive aussi des élans de fraternité, tout en affichant le droit à conserver la faculté de s’émerveiller … comme dans la superbe chanson “Une lettre” :
“J’écrirai une lettre à ceux qui grandiront
Qui suivront les courants
Pour leur dire en cachette que l’enfance a raison
Qu’après on désapprend”
Les photos de cet article ainsi que du nouvel opus de Stéphane Côté sont signées Karolanne Roy
Stéphane Côté, Ballon d’héliHomme, 12 titres, 38 minutes et 25 secondes. Productions Bleu Plume