Erstein, vendredi 29 octobre. Retour sur une sacrée soirée vécue intensément dans le cadre de l’opération “Gainsbourg ? Affirmatif !” . Assurément un passionnant voyage à la fois dans le temps et en deux temps.
D’abord à une conférence à la médiathèque et ensuite un repas réunissant une douzaine de personnes au Trublion (le bien-nommé pour continuer à y parler de Gainsbourg).
Ce restaurant est situé juste en face de l’Etapenstall-Musée accueillant depuis le 8 octobre et jusqu’au 14 novembre la formidable exposition Gainsbourg ? Affirmatif avec photos de Pierre Terrasson, œuvres du pochoiriste Jean Yarps, et nombre d’archives de l’INA et de la SACEM.
Embarquement vers la médiathèque intercommunale Denise Rack-Salomon, en hommage à une poétesse locale qui serait sans doute passée aux oubliettes de l’Histoire sans la détermination de l’auteure alsacienne Anne-Marie Wimmer.
Oui, c’est donc dans l’impressionnante ancienne chaufferie de la filature d’Erstein transformée en médiathèque que s’est déroulé le 1er acte de cette soirée.
Juste avant la rencontre, une escale s’imposait au 1er étage. Histoire d’y découvrir une longue fresque murale abondamment couverte de graffitis à l’instar de la façade du 5 bis rue de Verneuil. De quoi rappeler à Jean Fauque et Franz Delage bien des souvenirs de studios et nuits blanches passées avec Gainsbourg …
Puis direction la salle prévue pour la rencontre animée par Frédéric Marc / Radio Perfecto avec les deux compères : Jean Fauque (parolier et ami de Bashung) et le bassiste Franz Delage, un des membres du fameux KGDD formé avec Manfred Kovacic, Olivier Guindon et Philippe Draï … soit le groupe ayant participé à l’album “Play blessures” : musiques Bashung et textes Gainsbourg/Bashung.
Assurément un album méconnu à sa sortie et devenu culte au fil des années : on le retrouve parmi les 100 disques essentiels du rock français selon l’édition française du magazine Rolling Stone en 2010.
Écouter durant plus d’une heure anecdotes et réflexions/commentaires/points de vue sur Bashung et Gainsbourg c’est un vrai régal avec des conteurs nommés Fauque et Delage.
Avec délice et sans retenue, le public s’est laissé embarquer dans un univers si fertile en rebondissements, entre nuits blanches en studio, séances d’écriture/fignolage de textes et (fallait s’y attendre) virées nocturnes avec Gainsbarre dans la capitale. Ou plutôt au petit matin : de quoi fredonner sans hésitation “Il est cinq heures Paris s’éveille”… Voire plus tard … euh non plus tôt encore !
Mais attention ! Au-delà des fous-rires et des alcools savourés sans modération, il y a eu la réalisation de cet album. Une expérience dont Delage et Fauque parlent avec toujours autant de bon sens, sans langue de bois et avec humour aussi.
Certes, comme ils l’ont si bien raconté, quand on écoute cet album aujourd’hui, on est toujours autant touché par la noirceur des textes.
Mais bon, n’allez surtout pas croire que morosité et tristesse étaient de mise en studio. Bien au contraire, et en témoignent notamment les éclats de rires de Jean Fauque, s’amusant par avance de telle ou telle anecdote à partager avec gourmandise et sans langue de bois à l’assistance !
Plutôt qu’une conférence enracinée l’histoire et les coulisses de “Play Blessure”, cette soirée à la médiathèque a rapidement pris des allures de dialogue à deux voix, avec en prime un montage de photos apportées par Franz Delage et commentées par lui et Jean Fauque.
Une soirée suivie avec intérêt par le public, qui réunissait plusieurs connaisseurs de l’oeuvre de Gainsbourg et de Bashung, tels Philippe Johann , un “Bashungologue” selon le nom donné par Manfred Kovacic… et le chanteur Florent Richard.
C’est lui qui a clôturé la soirée de la médiathèque avec plusieurs chansons de Serge Gainsbourg reprises avec plaisir par l’assistance.
Coup de chapeau à ce chanteur qui a fait reprendre en choeur plusieurs refrains assurément inoubliables : La chanson de Prévert”, “La javanaise” et aussi “Le poinçonneur des Lilas”.
Un coup de chapeau d’autant plus mérité qu’il fait face avec professionnalisme. C’est-à-dire sans se laisser perturber par une panne de son aussi inattendue qu’exaspérante mettant en danger “Le gars qu’on croise et qu’on ne regarde pas” … oui vous savez bien, celui qui fait “Des petits trous, des petits trous, toujours des petits trous/ Des trous de seconde classe / Des trous de première classe”.
“Dans son dernier opus, il reprend quatorze titres de Gainsbourg, et je dois dire que cela lui va comme un gant. Il a la même voix grave, chantante, à s’y tromper. Il a la même approche en apparence désinvolte du monde et des autres. En fait c’est un profond, il comprend les gens au quart de tour, et, avec une certaine réserve, peut-être timidité aussi, et surtout beaucoup de respect, il s’avance à pas de loup, avec tendresse et humour. (… ) Florent Richard a en commun avec Serge Gainsbourg, outre la voix, une bonne teinture jazz et une agilité certaine avec les notes”.
Précisons qu’au lendemain de cette soirée, Jean Fauque et Franz Delage se sont retrouvés au caveau de la Brasserie du Tigre à Strasbourg pour une autre rencontre axée sur Gainsbourg et Bashung… et suivie d’un concert de Florent Richard.
Un mot enfin avant de finir sur Michelle Ruffenach, sans qui l’opération “Gainsbourg ? Affirmatif !” n’aurait sans doute pas eu lieu.
Cet événement a été organisé pour les 30 ans de la disparition de Serge Gainsbourg par la Ville d’Erstein en collaboration avec Radio Perfecto et l’INA avec expositions, films, street-art, conférences, master class.… à Erstein et à Strasbourg.
Assurément une aventure de longue haleine … aux allures de marathon exigeant une bonne santé physique et aussi, voire un moral d’acier. Notamment lorsque des invités qualifiés de prestigieux et annoncés avec éclat dans la programmation vous font faux bond dans la dernière ligne droite et … sans fournir d’explications !
Pas de quoi décourager Michelle Ruffenach !
En septembre 2017, elle consacrait une superbe expo à Bashung, à la librairie galerie Art&l’être à Strasbourg. Cet événement fut, lui aussi, largement relayé par les médias régionaux et nationaux aussi France Info.
Alors on est en droit de se poser une légitime question, sans doute prématurée alors que l’expo d’Erstein ne s’achève que la 14 novembre : après Bashug et Gainsbourg, à qui le tour ?
C’est une évidence ressentie par nombre de journalistes : on a plus de plaisir à présenter les nouveaux albums de certaines personnes plutôt que d’autres. Pourquoi certains artistes retiennent davantage l’attention ? Et pourquoi éprouve-t-on plus de plaisir à parler de certains albums ? Question de répertoire bien sûr, mais pas seulement. S’y glisse aussi un autre aspect : le ressenti, l’échange, le contact vécu entre celui/celle qui chante et celui qui écrit.
Un mot d’abord sur cette Québécoise qu’il ne faudrait surtout pas résumer/limiter/réduire à une auteure-compositrice-interprète naviguant depuis plusieurs années déjà entre chanson et jazz.
Voilà en quelques repères qui est Myreille Bédard bien connue à travers le vaste Québec : je vous avais déjà parlé d’elle ICI sur ce site d’information
Bon, venons-en à présent à son retour en studio ! Après avoir sorti en 2012 “Symphonie amoureuse” – résultat d’une fructueuse collaboration avec le compositeur, Anthony Rozankovic – la voici de retour avec cet opus … qui me laisse hélas sur ma faim vu qu’il ne comporte que quatre titres.
Ce mini album (EP) enregistré dans la suite logique de l’univers poétique et musical s’inspire d’un long séjour à Paris que l’artiste a effectué il y a quelques années.
Rue du Rendez-vous est constitué de trois chansons originales, signées par l’auteure, ainsi qu’une reprise du grand standard du répertoire francophone “Les moulins de mon cœur” immortalisé par Michel Legrand.
Redécouvrir cette chanson avec la voix de Myreille Bédard c’est beau, intense. le genre d’émotion à vous donner la chair de poule. Une version piano-voix qui témoigne de sa complicité sans failles avec un musicien que j’ai eu la chance de rencontrer plus d’une fois durant mes divers séjours au Québec : ami de longue date de Myreille Bérard, Philippe Noireaut est un artiste français installé à Montréal depuis plus de trente ans.
Il s’y est installé après avoir travaillé en France auprès d’artistes tels que Serge Reggiani et Claude Nougaro. C’est aussi lui qui, en plus de l’accompagner au piano, a assuré tous les arrangements et la réalisation de l’album.
“CHAQUE CHANSON NOUS TRANSPORTE DANS UN CLIMAT SINGULIER”
Comment définir les titres de cet album ? Laissons Myreille Bédard nous en dire plus sur sa nouvelle expérience discographique.
“Chaque chanson nous transporte dans un climat singulier où l’on découvre l’histoire de personnages réels ou fictifs, habitant un des quartiers de Paris. Les textes sont magnifiés par trois compositeurs différents mais unis par l’univers du jazz. D’abord la chanson-titre, Rue du Rendez-vous, a bénéficié des influences latino/jazz du guitariste québécois d’origine suisse, Axel Fisch, avec qui l’auteure avait déjà collaboré.
Pour sa part, Chez Orphée est la première cocréation d’une chanson entre l’auteure et le musicien Philippe Noireaut.
Enfin, Dans les yeux de Naïma, a été écrite sur une des pièces provenant de l’album instrumental “Through Life “du compositeur et pianiste français d’origine libanaise, Elie Maalouf, qui a accompagné la chanteuse lors de concerts donnés à Paris”.
A DÉCOUVRIR SUR LES PLATEFORMES NUMÉRIQUES
Sur cet album de chansons teintées de nuances de jazz et musiques du mondes, Myreille Bédard s’aventure ici dans un registre qui dépasse son habituelle “zone de confort”.
D’où le regret de ne pas pouvoir savourer plus de quatre titres mis en valeur par une poignée d’expérimentés musiciens. Philippe Noireaut évidemment, mais aussi un autre complice de la première heure, Christian Pamerleau, à la batterie .. à la contrebasse, le jeune et prometteur Sébastien Pellerin … sans oublier le saxophoniste et flûtiste de renommée (vraiment !) internationale : Jean-Pierre Zanella, par ailleurs connu comme compositeur et arrangeur.
Évidemment, vu le contexte économique, et les ventes de CD en chute libre, cemini-album réalisé sous l’égide de Néméa Productions est disponible pour téléchargement et/ou pour écoute en streaming sur la plupart des plateformes numériques, notamment Itunes.
Voilà, vous ai-je donné envie de découvrir Rue du Rendez-vous ?
Et même d’en savoir un peu plus sur le parcours sur cette artiste québécoise ? Je l’espère vraiment.
A vous de voir.
Albert WEBER
l vit à Montréal depuis plus de trente ans, après avoir travaillé auprès de géants de la chanson française comme Serge Reggiani et Claude Nougaro.
La fresque murale du 5 bis rue Verneuil transplantée à la médiathèque d’Erstein, à 22 km de Strasbourg ? Mais non ici pas d’illusion d’optique ni d’hallucinations ! Explications.
Hé oui … belle surprise vendredi 29 octobre, juste avant la conférence prévue dans le cadre de l’opération « Gainsbourg ? Affirmatif » organisée à Erstein et Strasbourg.
Comme une photo en dit évidemment bien plus qu’une explications détaille, prenez le temps de vous arrêter sur cette fresque découverte avec grand intérêt par Jean Fauque et Franz Delage … avant leur conférence animée par Frédéric Marc / Radio Perfecto et consacrée à Serge Gainsbourg et Alain Bashung réunissant leurs talents pour l’album “Play blessures” : c’est-à-dire le 4eme album studio de Bashung sorti en 1982 chez Philips.
A la suite de ces photos prises à Erstein en Alsace, en voici quelques autres datant d’octobre 2015 à Paris.
C’était durant une visite de l’Histoire de la Chanson via les rues de Paris : une initiative du chanteur-écrivain-guide Jean Lapierre, avec escale devant le domicile de Serge Gainsbourg, 5 bis rue de Verneuil.
Retour en images sur le dimanche 19 septembre. Ce jour-là, la Maison Rurale de l’Outre-Forêt à Kutzenhausen a célébré la langue et la culture alsacienne avec éclat.
Voici l’album photos de cet événement marqué par plusieurs temps forts à commencer par une passionnante visite guidée assurée par Willy Weisslocker. Superbe occasion pour comprendre, entre anecedotes et explications, la vie quotidienne dans ce lieu si chargé d’Histoire : un ancien corps de ferme du 18ème siècle rénové et transformé en musée.
Cette journée a aussi été marquée par le Prix Charles Goldstein décerné par l’association Heimet Sproch un Tradition présidée par Remy Morgenthaler, membre de la société des écrivains d’Alsace, auteur, poète et metteur en scène de pièce de théâtre en alsacien.
Ce prix a été remis à l’auteur-compositeur-interprète Serge Rieger pour son “engagement pour l’Elsässerditsch en particulier auprès des enfants des écoles”.
Voir aussi sur ma chaine Youtube l’intervention de Remy Morgenthaler s’adressant aux élus présents (et à ceux qui verront cette vidéo !) pour que langue et culture alsaciennes soient enfin mieux mises en valeur : c’est-à-dire concrètement et bien au-delà des paroles nostalgiques et rassurantes enracinées dans la “préservation du patrimoine”.
Ces propos plein de bon sens et sans langue de bois, il les également tenu au micro d’Antoine Jacob dans son émission sur la chanson en alsacien et en platt : il en a été l’invité durant près d’une heure sur Fréquence Verte, ce même dimanche.
Dans la foulée de Rémy Morgenthaler, d’autres personnes ont pris la parole : Jean-Laurent Vonau, père fondateur de la Maison rurale; la vice-présidente de Sauer-Pechelbronn Lysiane Dudt; la conseillère départementale Natahlie Marajo-Guthmuller et le député Frédéric Reiss.
Dans le public se trouvait a Dominique Lô connu pour nombre d’activités musicales, entre autres comme membre du groupe de rock alsacien Schnapps fondé par Nicolas Fischer.
Et c’est dans son studio que se prépare le nouvel album de Serge Rieger. Et aussi le 1er EP de Stéphane Jost. Peut-être même son 1er CD !On verra bien selon l’intérêt sus cité auprès des organismes et autres institutions qui devraient être sensibles à la langue et la culture alsacienne. Et donc à la chanson alsacienne …
Juste avant que septembre ne se termine, un mot sur un grand écrivain alsacien passé aux oubliettes : le romancier et poète Alfred Kern (1919-2001), disparu voici 20 ans, le 12 septembre.
C’est en 1960 qu’il est révélé au grand public … au niveau national avec le Prix Renaudot qui lui est remis pour un roman lu récemment : « LE BONHEUR FRAGILE » paru dans la Collection Blanche chez Gallimard.
Une histoire poignante aux multiples rebondissements … le destin mouvementé du narrateur, entre camp soviétique comme Malgré-Nous et envie/besoin de s’affirmer comme peintre dans le Paris de l’après-guerre… De quoi rappeler la vie du peintre Camille Claus (1920 – 2005), un de ses proches amis.
Alfred Kern et son épouse Halina ont passé les dernières années de leur vie à Haslach, dans la vallée de Munster.
C’est là que Michel Fuchs – poète, musicien, chanteur – l’a rencontré à plusieurs reprises : des rencontres enracinées dans une belle amitié marquée par plusieurs heures d’enregistrement en vue d’une biographie. Soit 11 cassettes enregistrées entre le 8 avril et le 18 novembre 2000.
D’une première rencontre au Salon du Livre de Colmar en 1995 se développera une amitié ponctuée par tant de discussions à quatre voix : Alfred, Halina, Michel et Brigitte.
“DANS LA VERRIÈRE, AVEC LE HOHNECK EN TOILE DE FOND”
« Nos visites furent régulières à Haslach, au-dessus de Munster. Dans la verrière, avec le Hohneck pour toile de fond, Alfred se montrait volubile ; Halina encore davantage. Au fil des conversations nous nous rendions compte que nous avions la même approche des choses, la même philosophie, et que nous avions des goûts communs.
Ainsi j’appris rapidement qu’Alfred appréciait mon ami Jean Dentinger et ressentait en revanche, comme moi, une distance envers d’autres gens qui se prenaient très au sérieux. C’était un régal de découvrir au fur et à mesure de telles connivences.
Brigitte et moi emportions nos guitares pour les distraire avec nos chansons. Nous ne pouvions guère leur offrir davantage en échange de toutes ces histoires extraordinaires qu’ils nous racontaient. Leur vie, tout simplement”.
Dès la première discussion, le romancier se confie sans hésitation : “Sitôt l’appareil en marche, Alfred, transcendé, se mit à parler avec verve, avec brio, ne s’interrompant que le temps de retourner la cassette au bout de quarante-cinq minutes. Il en avait des choses à dire. Après une heure et demie, une fois la bande pleine, il dit simplement : “Bon, ça suffit pour aujourd’hui”.
Assurément un formidable témoignage pour lequel Michel Fuchs a cherché en vain un éditeur en Alsace et ailleurs. Aucune réponse positive au national du côté de chez Gallimard où Kern avait publié plusieurs romans, et hélas rien non plus au niveau régional.
Bien décidé à publier son manuscrit, Michel Fuchs finira par opter pour l’autoédition. Le livre de 190 pages intitulé « ALFRED KERN M’A RACONTÉ » sortira en 2011, soit dix ans après le décès de l’écrivain.
“UN MONUMENT DE LA LITTÉRATURE ALSACIENNE”
La dernière cassette sera enregistrée le 18 novembre 2000.
« Il me restait de nombreuses questions à lui poser, des précisions à lui demander. Un jour, par exemple, Halina lui suggéra de parler de ses diplômes en théologie, de ses licences de philosophie et d’allemand, de son doctorat en histoire. Il botta en touche en disant qu’il avait aussi une licence de saut en longueur. Pourtant j’espérais bien encore aborder des périodes qu’il n’avait pas évoquées mais Alfred s’affaiblissait inexorablement.
Les fois suivantes, j’ai trouvé indécent de sortir encore le magnétophone. Nos conversations redevenaient ce qu’elles avaient été au début. Moins virevoltantes cependant, contenant de longues pauses silencieuses. Avec la profondeur de l’amitié en plus. Il sentait la fin inéluctable. Un jour il me dit que lorsque j’aurai fini ce livre, il ne serait plus là pour le voir. Ça, je ne pouvais pas l’imaginer, je croyais Alfred immortel ».
Pas la peine de vous en dire plus sur cet écrivain que je n’ai pas eu la chance de connaître. Vous en saurez plus sur sa vie et son œuvre sur wikipédia et nombre d’autres sites littéraires.
De quoi vous donner peut-être envie de (re)lire Alfred Kern… ou même le livre de Michel Fuchs (michefuchs@yahoo.fr)
sur celui qu’il qualifie de “monument de la littérature alsacienne. Mais c’était aussi un esprit universel dont la curiosité ne rencontrait aucune limite”
Tu sais, c’est la dernière fois que je t’écris. Point final de près d’un quart de siècle d’échanges de courriels, lettres, cartes postales De conversations téléphoniques en direct de Saint-Pierre ou d’une de tes escales en métropole, dans ta famille dans le Nord ou chez ta sœur en région parisienne.
Désolé de n’avoir pas réagi plus tôt, je n’en avais pas envie. Fallait d’abord encaisser le choc de ta disparition, accepter ou tenter d’accepter l’inacceptable.
Je sais bien qu’on est dans une époque où tout va vite, trop vite même. “L’actualité n’attend pas”, comme je l’ai souvent lancé à mes collègues des Dernières Nouvelles d’Alsace.
Donc, pour être dans les clous, il aurait fallu que je m’exprime sans tarder. A chaud, à temps, dans l’urgence quoi, à l’instar des centaines de réactions que j’ai pris le temps de découvrir sur internet, notamment sur Facebook. Messages, commentaires, photos, smileys tristes … démultipliés à l’extrême, partagés et encore et encore.
Tu vois, je n’avais absolument pas le cœur à “témoigner”, tu me comprends j’espère. Ne m’en veux pas, je n’ai pas envie d’évoquer ta mémoire à la télé, au journal de Saint-Pierre et Miquelon la 1ère.
J’ai décliné l’invitation d’un de tes amis, le journaliste Aldric Lahiton qui m’a écrit : “Notre communauté a perdu l’un de ses amoureux de la chanson française, et personnellement, un collègue en or. Nous allons produire un sujet hommage dans notre édition du JT de ce soir, et nous souhaitons recueillir des témoignages de ses proches dans l’archipel et en dehors… Je me tourne naturellement vers vous, savoir si vous seriez d’accord pour participer à un entretien sur Zoom”.
Au lendemain de ton suicide, le journal de 20 h a été présenté par Claudio Arthur.
Lui aussi, on le sentait ému. Il a parlé de toi comme tu le méritais, et le reportage était à la hauteur de ce que tu as vécu et mené à bien depuis plus de 30 ans sur l’archipel. S’y sont ajoutés les témoignages de Michel Le Carduner et Roselle Billy, émus tous les deux.
Autant de précieuses minutes d’un journal télévisé enraciné dans tes passions : curling, sports de glace, faune et flore, photo, et bien sûr la chanson. “Érudition, humour, impertinence” comme ça a été dit dans le reportage qui a bien mis en valeur ton engagement en faveur de la chanson française et francophone.
Cet inoubliable journal télé m’a donné envie de revoir, encore une fois, la vidéo d’une émission radio. Celle où tu as parlé en direct au micro de ta station, lundi 11 janvier 2016. Tu y avais été l’invité de 10h30 de “Brume de Capelans”. A un moment tu y lances un souhait : gagner au loto et ainsi pouvoir organiser un “Festival Jambon Beurre” avec les artistes et groupes de ton choix…
Cette émission , elle a été diffusée pour les dix ans de ton cher “Jambon Beurre” totalement dédié à cette chanson qui nous fait vibrer. Celle qui a des tripes, du cœur, du bon sens. Et beaucoup d’humour aussi comme en témoignent tant de fous-rires partagés à l’antenne avec Roselle Billy, Myriam Lelorieux et Hélène Pannier.
Au fil des saisons, elles ont co-animé ce programme avec toi. D’où cette photo prise le 16 janvier 2016. Elle a été publiée dans le 1er numéro du trimestriel Hexagone avec la légende suivante : “Pour les 10 ans de “Jambon Beurre”, Patrick Boez est entouré des trois co-animatrices successives de l’émission. Au centre Roselle Billy de la 1ère émission le 19 janvier 2006 à février 2007; à droite Myriam Lelorieux de février 2007 à juin 2010; à gauche Hélène Pannier depuis septembre 2010″.
Tout y est depuis 2005 et jusqu’à la dernière émission, celle diffusée le 30 janvier 2021 avec comme “album de la semaine” Léonor Bolcatto et ses “Allumeuses d’étoile”. Et ton ultime “Jambon Beurre” s’est terminé par une série de chansons célébrant toutes un mot : Merci. Il y a eu Coko, Céline Brémond, le groupe Fenouil et les fines herbes, Marc Vincent, Lareplik et enfin une dernière chanson : Bill Deraime pour un titre qui prend aujourd’hui une résonance toute particulière évidemment : “Merci pour tout”.
Je me souviens combien tu avais été surpris que le premier numéro de Hexagone, le trimestriel te consacrent autant de place pour les 10 ans de “Jambon Beurre” : un entretien de 7 pages signé Michel Gallas avec des photos de David Desremeaux.
“Un entretien alerte avec le sympathique Patrick Boez, animateur de l’émission « Jambon-Beurre », sur Radio Saint-Pierre-et-Miquelon, entretien qu’on espère être le premier d’une série consacrée à ces émissions chanson, plus nombreuses qu’on le pense, que les publications de naguère comme les blogs d’aujourd’hui ont toujours superbement ignorées” avait écrit Floréal Melgar sur le site Crapauds et rossignols
Tu te souviens de notre première rencontre ?
C’était en juillet 1997, au Centre culturel et sportif de Saint-Pierre.
J’y suis pour l’inauguration des Franco-Marines, formidable festival monté par Henri et Marie-Andrée Lafitte. Un des nombreux festivals vécus ensemble sur l’archipel.
Les discours sont terminés, et voilà qu’un gars souriant et frisé s’approche de moi, me dit qu’il est un des abonnés de Chorus sur l’archipel et on se met à discuter.
Et c’est parti pour près d’un quart de siècle de complicité sans orages. Je me souviens combien tu as été surpris par la rapidité de publication du dossier de trois pages dans le numéro d’automne de Chorus : “Franco-Marines, 1ère Un festival brise-glace”. Le titre avait d’ailleurs fait grincer quelques dents à Saint-Pierre et à Miquelon, il faisait allusion au groupe Brise Glace Orchestra …
Depuis juillet 1997, on en fait des milliers de kilomètres pour nous retrouver au gré des événements : Saint-Pierre, et évidemment aussi Miquelon; Paris; Montréal; Nogent en Haute-Marne; Strasbourg aussi …
Henri Lafitte aura été un des premiers à réagir à ton décès, Patrick.
“Je suis là, soudain, devant mon clavier et je pense à la tristesse qui étreint d’ores et déjà tous ceux qui ont pu mesurer tout ce qu’il apportait à l’archipel, par sa gentillesse, son implication dans ce qui permet de nous dépasser, par la beauté de la musique, d’un oiseau passereau, d’un paysage de plénitude, tant il aimait à la partager” confie l’auteur-compositeur-interprète de l’archipel sur son blog mathurin.com sous le titre “Hommage à toi, Patrick Boez”.
Ton suicide survenu quelques jours après ses 60 ans, nous a ébranlés …. Henri et moi avons aussitôt pensé à un autre compagnon de route, le musicien Jean-Guy Pannier . Lui aussi, avait décidé de s’en aller, à 54 ans en avril 2005.
Tu sais Patrick, un autre ami de l’archipel m’a dit de toi : “Il ne doit pas avoir un Miquelonnais ou Saint-Pierrais qui ne connaissait pas le météorologue, le président de la ligue des sports de glace, le président du curling club, le photographe hors pair et…. l’animateur de l’émission “Jambon beurre”. La population, dans son ensemble a été choquée d’apprendre sa disparition, dans des conditions qui nous laissent sans voix. J’avais de temps à autre l’occasion de le consulter pour lui demander une information sur un oiseau photographié, il répondait toujours rapidement passionné qu’il était par tout ce qui touchait à l’ornithologie”.
Et puis, dans le flot de souvenirs dont je n’évoque que quelques facettes ici, il y a évidemment ton séjour en Alsace, avec Sophie. Avec notamment ce fraternel repas organisé dans un resto alsacien, “Aux Armes de Strasbourg”, Place Gutenberg, à deux pas de la cathédrale.
Quelles belles retrouvailles avec Guy Zwinger, animateur de “Je viens vous voir” sur RNC Nancy, et l’auteur-compositeur-interprète et Jean-Luc Kockler, tous deux venus spécialement de Lorraine pour cette rencontre à laquelle participa aussi Isabelle Sire (chargée de diffusion/ production, Rose Macadam).
Et puis il y a eu la Choucrouterie ! Depuis le temps que je t’en avais parlé ! On y a diné, puis on a passé une soirée inoubliable avec la revue satirique de Roger Siffer et ses complices.
On était en premier rang tous les trois, toi, Sophie et moi. Et le comédien-humoriste Guy Riss a vite remarqué que Sophie n’en pouvait plus de rire quand elle le regardait en train de parodier le maire de Colmar dans son personnage de “Chilibébert” . Durant le spectacle, Guy s’est adressé à Sophie en lui demandait si elle tenait le coup et, évidemment, elle riait encore plus, et toi aussi.
Quelques mois plus tard, en parlant de vous deux à Guy, il m’a dédicacé un mot en alsacien que je vous ai envoyé. On s’était évidemment promis tous les trois de retourner à la Chouc à votre prochain passage à Strasbourg. D’ailleurs à chaque fois que je postais sur Facebook une info sur la Chouc tu y réagissais, et Sophie aussi.
Strasbourg aura été une étape inoubliable pour toi. Pas seulement pour la Choucrouterie mais aussi la soirée des attentats de Strasbourg, le 11 décembre 2018.
Ce jour-là, en fin d’après-midi, je suis d’abord allé à la Brasserie Saint-Michel, pour une rencontre poésie animée par Sido Gal. Puis nous nous sommes retrouvés au 1er étage de la Brasserie Kohler Rhem (à présent hélas fermée définitivement), au cœur de la ville, à la place Kleber et son sapin. On dinait tranquillement, et tout à coup l’ambiance a changé. Sophie voulait sortir fumer une cigarette, mais le serveur lui a refusé d’aller prendre l’air.
Et on s’est retrouvé tous les trois, à attendre la fin de la soirée, suspendus aux sites d’infos de nos portables, avant de pouvoir quitter les lieux, via un circuit indiqué par les forces de l’ordre.
Le lendemain, c’en était fini du Marché de Noël que vous vouliez tant prendre le temps de découvrir …
Bien sûr quand je pense à toi et à l’archipel surgissent également tant de souvenirs avec nos amis d’Alcaz, Jean-Yves et Viviane Cayol. On en a vécu des choses ensemble à Saint-Pierre, et aussi à Miquelon.
Tu te souviens de ta surprise faite à Jean-Yves lors d’un diner chez toi ?
Dans ton incroyable collection d’enregistrements se trouvait un des premiers 45 Tours de Jean-Yves. Je crois bien celui de “Neige neige tombe” sorti en 1973, avec sur la pochette la tête d’un jeune chanteur chevelu aux allures de Francis Lalanne débutant. Tu me montres le disque en précisant à voix basse : “On va le mettre sans rien dire, et on va regarder la réaction de Jean-Yves” … Stupéfaction totale évidemment de l’intéressé et toi .. un large sourire, heureux comme si tu lui avais joué une bonne farce. “Ça alors, c’est pas possible ! Je retrouve un de mes premiers 45 Tours à Saint-Pierre et Miquelon ! J’y crois pas ! Moi même je n’ai plus ce disque” nous avait confié Jean-Yves.
Avec Jean-Yves et Viviane, nous avons aussi été à Miquelon pour un concert prévu chez Péco je crois bien. Là aussi tu étais heureux de nous emmener dans la nature, de nous expliquer la faune, de prendre des photos, de nous parler faune et flore aussi.
Tu sais, j’ai aussi décliné la proposition de Michel Kemper. Pas envie de réagir par écrit en écrivant un texte sur toi. J’ai préféré lui parler de toi avec émotion au téléphone et lui envoyer quelques photos.
Et d’y préciser notamment ; “Recevoir un paquet orné de timbres de la Poste miquelonaise avec des photos d’oiseaux prises par lui, ça donnait de suite une once de plus-value à l’envoi… Il savait tout des oiseaux migrateurs, autant que des oiseaux rares de la chanson française, du dernier Michèle Bernard, du prochain Frasiak… tout ! La chanson – et les chanteurs – le connaissaient, tous l’appréciaient. Notre diable d’homme animait depuis des lustres une formidable émission radiophonique sur la chanson, Jambon-Beurre : il est à la hauteur de près de six cents émissions !” y écrit notamment Michel Kemper.
Bon mon ami, il est bientôt temps de te laisser, en espérant que ton irremplaçable site réunissant près de 600 émissions ne soit pas jeté aux oubliettes.
Ah oui, j’espère que ton site “Jambon-Beurre” tellement bien détaillé – sommaire, artistes, chansons, pochettes d’albums – va te survivre. De temps en temps, au gré des émissions, tu aimais bien m’y faire un clin d’oeil, saluant un “auditeur alsacien faisant des bulles dans son bain“. Je t’avais dit un jour que j’écoutais souvent “Jambon Beurre” en train de prendre un bain en Alsace. Merci pour tous les talents que je t’ai recommandés et que tu as programmés dans une de tes émissions.
J’espère aussi qu’un des innombrables artistes et groupes diffusés dans “Jambon Beurre” pensera à toi en composant une chanson …
J’espère enfin – et ce serait rendre honneur à son engagement sans failles au service de la chanson – qu’un jour il existera un Prix Patrick Boez. Et pourquoi pas ?
J’ai pris un peu de temps avant de pouvoir t’écrire. Impossible de t’écrire “Puteaux” : c’était une de nos blagues récurrentes, depuis des années. Et ça nous incitait à parler de Jean-Pierre Laurent, chanteur et joueur de Barbarie. On passait du bon temps avec lui lors d’un festival Bernard Dimey à Nogent. Et voilà qu’un matin, il nous dit devoir s’absenter un jour, le temps d’un aller-retour pour chanter à Puteaux, en région parisienne.
Depuis, entre nous, quand on se parlait ou quand on s’écrivait, on ne disait pas “plutôt” mais “Puteaux”. Oui, on savait bien que c’était idiot mais ça nous faisait rire. Tu sais, Jean-Pierre était ému en ce mardi 4 mai quand nous nous avons parlé de toi, et de ses chansons, dont des reprises de Mouloudji programmées dans “Jambon-Beurre”.
C’est vrai qu’on aimait bien les blagues idiotes. Comme cette revue de l’Équipement d’avril 2007 reçue un jour vu qu’elle contenait un article sur l’archipel. Quelques semaines plus tard, je te l’ai renvoyé accompagné d’un post-it :”Pas question de priver de la revue de la DDE, tu y tiens trop”. Pas étonnant que quelques mois plus tard je la retrouve dans ma boite aux lettres accompagné d’un post-it de toi : “Les best-sellers faut les relire de temps en temps !” et ça continuait de la sorte … Et voilà comment cette publication de l’Équipement aura effectué nombre de voyages entre l’Alsace et l’archipel, surchargée de post-it…
Patrick, tu sais, depuis que tu as été retrouvé au pied de la falaise, une chanson de Henri Lafitte prend un sens très particulier.
Je te parle évidemment de “Rêverie au Cap à l’Aigle”, le 22 octobre 1996. C’est un des 10 titres de l’album “Je suis né Outre-Mer” et Henri y chante notamment :
“Des roches ciselées d’un burin subarctique
Sur un fond bleu de vie qu’on voudrait le fixer
Un havre imaginé aux rives atlantiques
Par des mains maions transposées par la divinité
(…)
Du haut de la falaise je guette les moraines
Vont-elles s’animer comme le fit l’oiseau
Je suis au Cap à l’Aigle mon cœur est en haleine
J’aspire à être pierre dans ce coin de tableau”
Voilà mon cher Patrick, je vais bientôt prendre congé de toi. Tu as retrouvé l’ami Marc Robine avec qui nous avons passé des soirées mémorables, jusqu’au cœur de la nuit, avec une poignée d’ami(e)s passionné(e)s de chansons, de bon vin. Et tant de fous-rires aussi jusque sur les dunes entre Miquelon et Langlade, avec Roger Etcheberry … Formidable passionné d’ornithologie comme toi, il nous donnait spontanément en latin le nom de tel oiseau rare qu’il venait d’apercevoir, faisant piler net sa voiture et secouant ses passagers.
Salues Marc de ma part et de Fred Hidalgo, on pense toujours à lui. Et tu donneras le bonjour à ces compagnons de chansons et de musique partis trop tôt : Maurice Segall, Jean-Guy Pannier, Hervé Chevallier, Gerry Boudreau Joseph Moalic, Edouard Bauer/ Fok de la Rue des Dentelles, et d’autres encore.
Il est à présent temps de reprendre “ma place dans le trafic”. Agir comme celles et ceux qui ont réagi à ton suicide sur Facebook avant de reprendre l’inévitable cours de la vie. Va donc falloir recommencer à m’intéresser aux artistes et aux groupes d’Alsace, progresser dans le livre sur la chanson en Alsace dont nous avons parlé plus d’une fois et qui te sera dédié.
Tu ne parlais pas l’alsacien, mais je me rappelle ton émotion, perceptible au micro de “Jambon Beurre”. Hélène Panier t’en avait fait la remarque, et ta réaction l’avait touchée. C’était le 2 juin 2018, juste après la diffusion du Conte alsacien d’Abd Al Malik.
Ce titre, tu l’avais présenté avec enthousiasme : “Un de mes énormes coups de cœur, franchement c’est que du bonheur, j’adore. 3 mn 30 de bonheur avec Gérard Jouannest au piano et Marcel Azzola à l’accordéon C’est que bonheur. Il faut savoir qu’Abd Al Malik est né à Paris et il a grandi en Alsace. Donc on a avoir même un petit peu d’alsacien dans la chanson”.
Texte Albert Weber
Photos et documents David Desremaux, Claude Juliette Fèvre, Patrick Ochs, Henry Tilly, Anne-Marie Siegfriedt, Albert Weber
MONTMARTRE : PATRICK BOEZ SUR LES TRACES DE L’HISTOIRE DE LA CHANSON AVEC JEAN LAPIERRE
FESTIVAL DE NOGENT : EN SOUVENIR DE BERNARD DIMEY
HENRY TILLY : “IL AVAIT UNE CAPACITÉ EXCEPTIONNELLE A SENTIR LE TALENT ET L’AUTHENTICITÉ”
Ce texte de Henry Tilly, originaire de Saint-Pierre et Miquelon, était destiné au mensuel L’Écho des Caps. Mais la publication de la mairie de Saint-Pierre a cessé de paraître en mars après 39 ans d’existence.
“C’est ce matin 4 mai qu’un coup de fil de l’ami Eric Frasiak m’a annoncé l’horrible nouvelle, suivi à quelques minutes par un autre ami commun : Albert WeberR.
Assommés tous trois par cette annonce catastrophique, nous avons fait le même constat qui peut apparaître égoïste, certes, mais qui traduit bien notre désarroi et notre peine profonde : notre esprit s’est soudain vidé de toute autre préoccupation, de toute autre interrogation aussi, de toute autre pensée nécessaire à nos travaux en cours ou nos occupations du moment.
Il faut dire que Patrick, discret comme un chat et parfois même taiseux, n’aurait jamais pu illustrer ce poème de Dimey (un de ses auteurs favoris) : « Quand on n’a rien à dire…et du mal à se taire ». Et pourtant il avait tant de choses à dire mais ne les distillait qu’à bon escient, qu’il s’agisse de photo, domaine dans lequel il excellait : de photo artistique, d’instantané paysager ou d’ambiance ou photo animalière ; d’ornithologie où son point de vue, toujours bien documenté, était écouté et respecté ; et bien sûr de chanson francophone, domaine particulier où s’était forgée notre amitié et où il était reconnu comme « connaisseur ».
Longtemps absent du Territoire, j’ai fait sa connaissance aux « Déferlantes Atlantiques » de 2011 que j’ai eu le plaisir de « chroniquer » pour Albert Weber, découvrant alors, en même temps que Patrick, déjà St-Pierrais adopté, intégré et impliqué, les artistes qui étaient au programme : Eric Frasiak, Govrache, « Les Imposteures », Steve Normandin et quelques autres plus les artistes locaux : Henri Lafitte, D’gé, Dode, Cox &Co, pour les plus réputés, que je connaissais déjà.
Certains de ces artistes « importés », c’était le cas d’Eric Frasiak, peut-être de Govrache, avaient été repérés par Patrick qui, par son excellente émission « Jambon Beurre », connue d’un nombre étonnant d’artistes métropolitains et les tournées de festivals, découvrait et faisait découvrir au public des talents qui pouvaient bien parfois désigner les véritables héritiers de nos « Géants » disparus ; c’est déjà sûr pour certains comme Frasiak.
Mais ça n’est pas le fait du hasard. Patrick avait une capacité exceptionnelle à sentir le talent et l’authenticité parce qu’il avait une très grande capacité d’écoute et de concentration dans l’écoute, et du texte, et de la mélodie, ce qui facilite grandement l’analyse….
Et corollairement, la conclusion. Je ne saurais dire si cette disposition était naturelle ou liée à sa formation mais on a pu constater que dans les différents domaines où il s’est plongé, il n’est jamais resté en superficie. En fait, il était servi en toutes ces activités par un même sens et amour de la poésie et quand il consentait à donner son avis, celui-ci était documenté… Mais pas uniquement technique.
C’était Patrick, tel qu’on l’estimait et qu’on l’aimait et avec ça naturel, souriant, franchement agréable. Il nous manque déjà …Et ce n’est que le début…
Toutes mes condoléances attristées à ses proches et ses amis”
Jusqu’à quand serons-nous privés de concerts ? De festivals ? Bonnes questions auxquelles il n’y pas de réponse en ce mois de mars 2021.
Heureusement que certaines salles ne sont pas totalement fermées. Elles ouvrent le temps d’une répétition, voire d’une résidence artistique celle que j’ai eu la chance de vivre fin février. C’était dans une des salles de l’Illiade, à Illkirch.
Une expérience d’autant plus intéressante que cela faisait plus d’un an que je n’avais plus pris de photos à l’Illiade.
Ce n’est pas la première fois que je consacre un article à Marcel Soulodre sur ce site d’infos.
Bon, refermons la parenthèse sur ce qui a déjà été écrit sur www.planetefrancophone.fr et revenons-en à ce qui s’est passé récemment à l’Illiade.
“On y était en résidence du lundi le 22 février jusqu’à lundi le 1 mars” précise Marcel Soulodre qui a travaillé avec des musiciens dont je ne connaissais pas certains visages.
La résidence artistique s’est en effet déroulée avec Jean-Michel Eschbach (accordéon) Yvan Keller (batterie) et Gilou Haggen (basse) présents le jour de ma venue.
D’autres musiciens étaient, eux aussi, de la partie à d’autres moments : Emmanuel Boch (piano); Pascal Kempf (saxophones); Lionel Ehrhart (basse).
QUATRE PROJETS ARTISTIQUES
Cette résidence s’enracinait dans pas moins de quatre projets.
A commencer par le spectacle “Blue Suede Shoes” qui a été enregistré avec en prime une interaction entre Marcel Soulodre Jupiter, oui le fameux jukebox qui faisait partie du spectacle présenté dans une salle comble à l’Illiade.
“La voix de Jupiter est assurée par Joan Ott qui fait un travail remarquable” souligne le chanteur en parlant de ce spectacle enraciné dans les origines du du Rock ’n Roll
Et c’est pas tout puisqu’en plus de ces quatre clips, le chanteur er les musiciens ont enregistrés “quatre chansons en version raccourcie” en vue de la promotion.
RÉPERTOIRE PERSONNEL
Le 2eme axe de travail, c’est un spectacle intitulé “Giddy Up ! ” : le répertoire de Marcel Soulodre.
Donc les chansons dont il est l’auteur et le compositeur, parfois avec la complicité de Bernard Bocquel … pas revu depuis près de 45 ans ! Nous nous sommes connus dans une vie antérieure, étudiants au CUEJ, le Centre universitaire d’enseignement du journalisme alors situé au 10 rue Schiller à Strasbourg. A l’automne 1977, au terme de nos études, Bernard s’envolait pour le Canada, et précisément pour le Manitoba, alors que – toujours dans le cadre de la coopération, j’atterrissais à l’autre bout du monde, à l’Ile Maurice. Nous nous sommes perdus de vue, et c’est grâce à Marcel Soloudre – à qui Bernard a écrit plusieurs textes de chansons – que j’ai eu de ses nouvelles voici plusieurs années.
Les répétitions à l’Iliade ont permis de répéter une vingtaine de titres, en français et égaiement en anglais.
Le concert était prévu pour fin mars, dans le cadre du Printemps des Bretelles, annulé pour la 2me année de suite.
Le concert de Marcel et ses musiciens y aura donc lieu pour l’édition 2022. Je l’espère vivement !
DUO AVEC TARA ESTHER
Et le 3eme projet alors ? C’est le duo avec Tara Esther, que les spectateurs de l’Illiade ont apprécié dans le concert Johnny Cash où elle assurait le rôle de June Carter.
“Je suis en train de préparer quelques nouvelles chansons avec ma guitare pour notre collaboration” souligne le chanteur.
C’est précisément cet aspect de la résidence artistique que j’ai suivi lors des heures passées à l’Illiade.
En témoignent les deux chansons répétées avec Tara Esther mises récemment en ligne sur ma page Facebook. “Quand le soleil dit bonjour aux montagnes” et “All I Have to Do Is Dream”
Elles y sont toujours visibles sur ma chaine Youtube où vous pouvez découvrir 90 autres vidéos consacrées à des événements artistiques et culturelles d’Alsace. Voici une des nombreuses chansons répétées par le plus alsacien des chanteurs du Manitoba, avec ses musiciens.
NOUVEL ALBUM À L’HORIZON
Quant au dernier projet de cette résidence artistique, il concerne … mais oui … le nouvel album !
“L’enregistrement de six nouveaux titres que j’ai composé depuis janvier. Je souhaite sortir beaucoup de nouvelles chansons cette année notamment mon album “Hello Out There“. confie Marcel Soloudre.
En somme une semaine bien remplie pour cette résidence artistique menée à bien sous l’égide de l’équipe de l’Illiade (Sebastien Bauer, Éric & Matthieu, Élodie Morlaes)
Sans parler des vidéos filmées par Patricia Cully , et qui ont été montées les semaines suivantes.
Bref un efficace travail entre sonorisateur et régisseur (Julien Burke), éclairage (Loïc Hollender), monteur vidéo (Sylvain Drouilly), cadreur (David Heitzmann),
Pas de doute, la vie va parfois trop vite, et le tourbillon du quotidien nous incite à décaler telle “bonne résolution” pourtant prise avec enthousiasme. C’est ce que je me dis en rédigeant ce texte consacré au 6ème album de Tibert sorti au dernier trimestre 2020. Hé oui, à force de retarder plus d’une fois le moment de vous en parler, le temps a filé plus intensément que prévu.
Bon je vous rassure, il n’est évidemment jamais trop tard pour parler de l’album de Tibert qui mérite d’être connu et surtout reconnu auprès d’un public en quête d’une chanson sans maquillage ni baratin ni effets spéciaux.
AVEC LA COMPLICITÉ DE DENIS FAVRICHON
En 2014, son précédent album, Sortir a retenu l’attention de l’excellent “Trad Magazine hélas disparu trois ans plus tard. Cet album sera synonyme de nombreuses tournées françaises et canadiennes.
Et six ans plus yard, voici Tranche désir : 41 minutes et 42 secondes aux accents folk et rock mixés à Saint Etienne par Tony Bakk chez Studio Mag, mastérisé par Alexis Bardinet chez Globe Audio (Noir Désir, Benabar, etc.) : « une production est léchée et délaisse les réalisations hyper compressées pour garder ampleur et dynamique. En ces temps de claustrophobie, de visages masqués et d’humeurs autocentrées, écouter cet album est une belle évasion, aérienne et vivante, comme une longue course le long de la mer ».
Au menu 11 titres signés par l’artiste originaire de Saint-Étienne : paroles et musique, guitares, mandoline, banjo, programmation, tin whistle (une variété de flûte) et basse sur “Le mur” et “Vois” … et , bien sûr, l’incontournable complicité avec Denis Favrichon (basse, contrebasse, cellobasse) présenté comme un « compagnon de voyage et de galère, de répétitions sans fin et de retrouvailles sans qui cet album n’aurait pas la même saveur ».
Trois autres musiciens sont au rendez-vous : Corinne Lamure (violon alto), Michel Turco (programmation batterie, percussions) et Véronique Guinet (flûte pour “Sur ce caillou). C’est vous dire combien la diversité des instruments à cordes utilisés pour cet album ô combien soigné, entre autres via des arrangements à vous donner … oui …des frissons.
Pas étonnant, connaissant le sensibilité, la prédilection de Tibert en faveur des orchestrations de cordes tant en studio que sur scène.
PASSERELLES MUSICALES ET FRATERNELLES AVEC L’ACADIE
A cette liste de musiciens français s’ajoutent plusieurs complices d’Amérique francophone : Sylvain Doucet (pedal steel); Justin Doucet (violon) ainsi que deux artistes que j’ai si souvent apprécié en concert des deux côté de l’Atlantique et que j’estime autant pour leur talent que leur personnalité : Danny Boudreau (choeurs), également une des figures marquantes de la chanson acadienne (parfois surnommé “le Cabrel acadien” dont il assura la première partie au Capitol de Moncton) et Jesse Mea (piano, accordéon).
Bref une sacrée brochette de talents français et francophones réunis au-delà des distances pour cet album bénéficiant du soutien d’Inouïe Distribution.
Surtout ne vous étonnez pas de cette passerelle internationale. Ce n’est pas la première fois que l’Acadie est présente sur des enregistrements de Tibert, tant pour des paroles que des musiques. Il faut vous dire que le parcours de cet auteur-compositeur-interprète s’enracine depuis longtemps entre France et Acadie.
« Une histoire d’amitié et de musique, de défense de notre culture commune aussi, souligne l’artiste. Depuis je me suis fait piquer par les maringouins de Beresford, j’ai bu des Moosehead dans les soirées de la FrancoFête, j’ai dégringolé les rapides de la Restigouche et j’ai dévoré pétoncles et homards à Shediac … J’aime l’Acadie, il m’arrive même de la chanter des deux côtés de la grande mare et j’y reviens chaque fois comme on revient visiter ses proches, avec un attachement et un bonheur sincère. » confiait-il voici une dizaine d’années à un journal acadien.
Hé oui, c’est au début des années 2000 que débute l’histoire de Tibert avec l’Acadie et j’en parle ici en connaissance de cause – et avec d’autant plus d’enthousiasme – que j’ai été témoin de ses premiers pas dans le vaste espace francophone canadien. Plus d’une fois j’ai eu la chance de vivre des événements musicaux avec lui en Acadie, notamment dans le cadre de inoubliable FrancoFête : Tibert est sans doute un des artistes français qui connait le mieux cet événement international annuel réunissant chaque année en novembre nombre de professionnels essentiellement d’Amérique. du Nord, d’Europe : diffuseurs, artistes, professionnels du secteur .. d’où nombre de vitrines musicales qui permettent rencontres amicales et relations d’affaires durables.
Autant de souvenirs enracinés d’initiatives bien connues de Tibert qui a pris part comme artiste évidemment … et également comme créateur et directeur du Festival Les Oreiles en Pointe Fidèle au rendez-vous annuel de la FrancoFête durant une dizaine d’années, j’y ai vécu quelques-uns des moments les plus intenses d’un “journalisme musical” entre concerts, débats, tables rondes et autres soirées musicales et fraternelles.
Sans oublier les fameuses retrouvailles de la délégation internationale (France, Suisse, Belgique, etc.) près de Moncton, localité francophone mitoyenne de Moncton. C’était dans la grande maison de l’ami Denis LaPlante, alors directeur de la SNA, la Société nationale de l’Acadie : des instants de bonheur, de fraternité, de chansons, de fous-rires aussi… Et si je vous en parle ici, ce n’est pas pour vous raconter ma vie mais pour insister sur l’importance de l’Acadie dans le répertoire et la vie de Tibert.
“UNE CHANSON D’ACCUEIL ET D’AMITIÉ POUR CEUX QUI LAISSENT LA PORTE OUVERTE”
Pas étonnant que “Tu es chez toi” – première chanson du CD – soit dédiée à Denis La Plante dont les problèmes de santé ont été médiatisés – évidemment avec le consentement de sa famille – dans les médias acadiens et entre autres dans un émouvant reportage télévisé sur Radio Canada.
“Ce matin, il a reçu le nouveau CD de Tibert Rocher et laissez-moi vous dire, il n’a pas oublié ses meilleurs amis !” confie Sophie Mylène, la fille de Denis, le 15 octobre 2020 sur Facebook en précisant :
” Les derniers jours, j’ai réalisé beaucoup de choses au sujet de la maladie d’Alzheimer Précoce. Aussi difficile que c’est à partager, j’ai eu un sentiment d’impuissance même de honte en compagnie de mon père en public. Il est de plus en plus difficile pour lui d’être ” dans notre monde”. Je réalise maintenant, qu’il faut simplement s’adapter à sa réalité. Pis que dans l’fond, sa réalité, sa vision du monde je devrais dire, est probablement la chose la plus précieuse. Il aime la vie!”
Donc je vous dirai, en toute subjectivité, que cet album fait partie de ceux qui m’ont le plus touché de tout ce que j’ai écouté et entendu depuis pas mal de mois.
Car avec ses mots entre poésie et bon sens, Tibert va droit au but. Et le clip “Tu es chez toi” mis en ligne voici quelques jours témoigne de l’amitié de Tibert pour Denis La Plante, et cette relation incitant le chanteur à préciser : “Une chanson d’accueil et d’amitié pour tous ceux qui laissent leur porte ouverte. Tourné dans les ateliers de l’entreprise Bonnavion Industrie à Firminy par Frédéric Giroudon. Personne, jamais, n’est illégal”.
Vous comprendrez donc que je ne peux pas être “objectif” en présentant cet album, d’autant plus que la fameuse objectivité si souvent invoquée s’enracine en fait dans l’expérience, la culture, les centres d’intérêt de celles et ceux qui donnent leur avis sur un album, un film, une pièce de théâtre, etc. Ce qui me m’empêche pas de vous dire : n’hésitez pas à vous procurer cet opus, c’est parce que le talent de Tibert s’y affirme avec une rare intensité.
Tibert, c’est “d’abord une voix, on aime le timbre et la chaleur de celle de Tibert que ce soit dans de bouleversantes balades folks (Sur ce caillou, Mon cœur vacarme) ou des titres enlevés et puissants (Le manège, Mais la mer”.
Bien dit, mais au-delà de cet extrait d’un texte destiné à la presse, une évidence s’impose : ce globe-trotteur aussi inspiré qu’infatigable est sans conteste un drôle d’oiseau migrateur, dont les voyages et les escales en terre étrangère nourrissent son inspiration et lui ont permis de forger un répertoire aux couleurs, ambiances accents tellement diversifiés.
Ne tentez surtout pas d’enfermer dans une catégorie bien précise cet artiste de Saint-Etienne , établi au Grau-du-Roi et plus que jamais en quête d’horizons lointains, de rencontres artistiques et (aussi/surtout) humaines débarrassées des aprioris et des non-dits.
Prenez donc le temps de découvrir le clip de la chanson TEL LE MANÈGE et vous comprendrez un peu mieux l’univers de ce créateur aux textes subtils et aux mélodies qui vous donnent envie de taper dans les mains, de fredonner, de reprendre en chœur … d’être heureux quoi !
TALENTUEUSE SENSUALITÉ
Et s’il vous reste encore un zeste ‘(ou plus) de curiosité, offrez vous donc le bonheur de flâner sur la chaine Youtube de Tibert.
Embarquement immédiat pour un étonnant et détonnant tour d’horizon d’un artiste non formaté, non sclérosé dans un plan de carrière, insensible aux modes et à la futilité musicale !
Alors franchement, comment voulez vous qu’il retienne l’attention des “grands médias” et du petit écran ?
Et j’adhère totalement et vous partage sans hésitation l’expression “le son Tibert” employé par Michel Kempert sur son site Nos enchanteurs, le quotidien de la chanson, au sujet de “Tibert, l’élégant faiseur de chansons”, juste avant de préciser : “La mer, le vent, le voyage, la brume pacifique, la nature, l’amour, l’amitié, la fraternité, la pitié, le pardon, les batailles perdues, celles restant à mener, Tibert est parolier habille, élégant faiseur de chansons, qui ne pétrit ses textes que d’ingrédients simples « à la douce saveur des mondes que l’on rêve et la force de ceux que l’on habite ». Ça donne des chansons que ne peuvent que s’inscrire dans la durée, sans obsolescence possible. Si les mélodies bercées tantôt de celte, tantôt de bayous ou d’ailleurs, savent capter votre écoute, alors vous pouvez facilement entrer dans sa poésie, vous y lover”.
Alors franchement, avec autant de qualités, d’atouts, et de respect du public comment voulez vous que Tibert “passe à la télé” à une heure de grande écoute ?
Vous rêvez !
Alors un conseil d’ami : agissez et passez pas et plus à côté de cet auteur-compositeur-interprète.
Notamment pour son sens de la mélodie, du mot qui fait mouche et sin aisance à jouer avec les mots et les images comme dans “Tranche désir”, titre éponyme de cet album assurément teinté d’une talentueuse sensualité.
Cette photo prise en juillet dernier a été remise à la vingtaine de personnes venues rendre un dernier hommage à la chanteuse, actrice et comédienne François Ulrich. C’était ce mardi 22 septembre, à La Roberstau, dans la grande salle du centre funéraire de Strasbourg.
Plusieurs prises de paroles et lectures de messages – entre autres par Benjamin Walter – ont ponctué cette cérémonie. Grâce aux enregistrements de Christian Bedez la voix de Françoise Ulrich – et même le message de son répondeur téléphonique – aura résonné en français et aussi en alsacien.
Parmi ces chansons, on a évidemment entendu “Les amants de Saint-Jean”, qu’elle aimait tant interpréter. Et aussi “J’ai la mémoire qui flanche”, immortalisé par Jeanne Moreau et repris a capella par Astrid Ruff au centre funéraire.
Un projet de soirée en l’honneur de Françoise Ulrich a été évoqué dans le prolongement de la cérémonie d’adieu. Toutes les suggestions seront les bienvenues auprès de Richard Sancho Andréo.
Le 15 septembre – jour de son décès à 80 ans -, l’association PasSages de Bischheim saluait sa mémoire sur Facebook :
“Fidèle à PasSages. Elle nous a accompagné sur de nombreux projets de lectures et de soirées. Membre de conseil d’administration elle était toujours pleine d’idées et de propositions. Nous étions un peu sa seconde famille à Bischheim où elle avait ses habitudes dans les commerces.
Adieu Françoise. Nous ne t’oublierons pas”.
Et l’association de Bischheim reproduisait le texte de Richard Sancho Andréo illustré par cette photo de Jean-Louis Hess :
“Françoise Ulrich, comédienne, chanteuse, grande amie s’en est allée, soulagée. Ma Francesca, ma diva, m’ a fait rire, pleurer, taper des pieds et des mains. Elle a eu une vie marquée par la guerre et son accueil dans une famille de paysans dans le Jura Suisse.
Institutrice, elle est une des actrices de l’effervescence culturelle alsacienne des années 70 et 80 à l’attrouppement, au TNS… .
Nous allons lui rendre un hommage le plus gai possible. Tes grandes embrassades vont me manquer”.
Avec émotion, Richard Sancho Andréo s’est égaiement exprimé durant la cérémonie :
“Adios Francesca ! Il y a dans ma tête et mon cœur, aujourd’hui, deux sentiments. La joie de voir tes ami.es réuni.es, la peine de te dire au revoir.
Nous nous sommes souvent séparés, tous les deux, de nos têtes à têtes, avec ces deux sentiments partagés. Après un repas, une belle fête, un spectacle, nous étions enjoués, comblés de nos histoires partagées. Et quand nous nous séparions dans tes moments de crise, nous étions tristes, parfois désemparés. Tu l’étais très souvent plus que moi. Tu aurais tant voulu faire fuir tes démons et donner de la voix, de la vie, de la présence chaleureuse.
Tu adorais nous prendre dans tes bras et nous serrer très fort. Un peu, beaucoup pour te souvenir de cette séparation, de cet arrachement quand toute petite, pendant la guerre, tu fus mis à l’abri dans une famille du Jura. Serrer, écrire des petits mots doux, donner tout de toi…
Comme un enfant. Institutrice, formée à l’école normale des filles de Guebwiller, avant de prendre le large de l’aventure artistique, tu reviendras dans tes dernières années faire du soutien scolaire pour les enfants du Centre Social et Familial Victor Hugo à Bischheim ! Tu voulais être utile à la société.
Oui, tu avais toujours cette obligation, cette rectitude. Donner, tout donner à nous faire rire, parfois grincer des dents….en tout cas tu n’étais pas invisible. Flamboyante dans ta chevelure, dans ton élégance bohême, tes foulards, ton parfum que je t’offrais chaque année avec ton agenda.
Nous avons passé des moments magnifiques à PasSages.
Pour le 8 mars, tu étais présente pour dire haut et fort tes engagements de femme libre, généreuse, frondeuse, aimante. Tu étais ma Diva, Francesca”
CHANSON, THÉÂTRE ET CINÉMA
Je n’ai pas du tout la prétention de retracer ici le destin artistique de cette Alsacienne si souvent applaudie aussi bien à Paris que dans sa région natale, dont la fameuse Saga des Rohan à Saverne dans les années 1987, 1988 et 1989.
D’autres évoqueront bien mieux que moi son destin artistique, dont Liselotte Hamm qui m’a appris sa disparition.
Parmi les nombreuses créations auxquelles aura participé Françoise Ulrich, coup de projecteur sur l’évocation des ” Olympiades de musique ouvrière /Die erste Arbeiter und Musik Olympiade” organisées à Strasbourg du 8 au 10 juin 1935.
De quoi inspirer un spectacle présenté en février 1986 au Chebal Blanc à Schiltigheim, sous l’égide de La Manivelle avec Maurice Jully, Francis Freyburger, Bernard Hummel, Françoise Ulrich, Liselotte Hamm et Jean-Marie Hummel.
“Première en juin 1985 à l’Ange d’or avec — au fil des représentations — une équipe de chanteurs et de comédiens : Maurice Jully, Francis Freyburger, Bernard Hummel, Françoise Ulrich, Liselotte Hamm et Jean-Marie Hummel. Ce répertoire est toujours à notre programme. Nous l’avons présenté lors de manifestations anti-fascistes, de commémorations de la Guerre civile espagnole ou de récitals autour de Brecht. Depuis cette date et aujourd’hui encore, quand nous présentons l’Alsace à travers son histoire, ces Olympiades sont évoquées avec les trois chansons chantées par Busch avec Eisler au piano ! Une version filmée a été captée en studio par FR3 Alsace.” (Site de la Manivelle)
Parmi ses expériences artistiques en Alsace, notons aussi son rôle d’Emilie dans la série Hopla Trio.
On peut revoir Françoise Ulrich sur diverses séquences de cette série télévisé ICI .
On retrouve trace du parcours de Françoise Ulrich entre théâtre et cinéma sur divers sites artistiques nationaux :
“En dehors d’artistes dont nous ne pouvons pas payer les cachets et qui remplissent n’importe quelle jauge, tout choix artistique reste délicat et complexe …
Nous faisons donc confiance à ceux qui ont cette pratique et ces compétences, tout en étant ouvert à toutes les propositions raisonnables ou pistes. C’est la raison pour laquelle la direction s’appuie sur une experte en la matière. Là où je me sens plus compétent, c’est en matière de prudence pour ne pas prendre de risques qui nous mettraient à terre.
Je crois beaucoup à la cohérence tel que je l’évoque plus haut : c’est ça l’avenir de Summerlied, un positionnement clairement identifié, et à la hauteur de nos moyens. Une ambition, mais légitime, une offre attractive, mais sans négliger nos talents locaux et régionaux.
Nous devons aussi gagner en indépendance financière, par exemple en séduisant plus de partenaires privés”.
Ce sont quelques-unes des affirmations de cette longue interview.
Sans langue de bois et avec bon sens, Francis Hirn s’exprime dans cet entretien mis en ligne le 5 mai sur la page Facebook Ohlungen entraide Covid-19 … et plus que jamais d’actualité.
Entre bilan et perspectives, le président de l’association SummerLied aborde nombre de sujets liés au passé, au présent et à l’avenir de cet événement enraciné enraciné dans la clairière d’Ohlungen et désormais appelé Forest’ival SummerLied. Agnès Lohr en assure la direction, Isabelle Sire la programmation et l’agence Lao Cai la communication.
Il y a quelques jours SummerLied a annoncé l’annulation de l’édition 2020. Un crève-cœur pour son président ?
C’est évidemment une très grande déception et une tristesse, car cela faisait des mois que les équipes travaillaient avec la direction sur l’édition 2020.
Il y a deux mois personne ne soupçonnait, ni l’importance, ni les conséquences du traumatisme et l’espoir était encore permis. Et d’ailleurs personne ne sait aujourd’hui comment nous allons nous en sortir et ce que sera l’après.
Certes nous étions restés très sereins et lucides, alors que depuis deux mois, la préparation s’était poursuivie sur tous les aspects où personne ne se mettait en danger par rapport à ce fléau qui a bouleversé nos vies. Parce que nous voulions être prêts « si jamais », nous avons fait « comme si ». Et la très grande partie de ce travail préparatoire ne sera pas perdue.
Mais progressivement nous avions pris conscience que la mission devenait impossible ; dès le début du mois d’avril nous avons donc réfléchi à différentes options alternatives que nous avons affinées et évaluées, avant de les valider financièrement. Car tous ceux qui connaissent Summerlied de près savent que l’équilibre financier est très fragile, et soumis à de nombreuses incertitudes, y compris en temps normal, alors a fortiori dans le contexte de la crise.
Tout en prenant en compte également nos partenaires financiers, mais aussi nos mécènes et sponsors, ainsi que la formidable armée des bénévoles qui sont le moteur indispensable de notre festival, nous souhaitions présenter nos réflexions et propositions aux instances dirigeantes, bureau et conseil d’administration, début mai, afin qu’ils décident avec nous.
Mais il y a dix jours, l’intervention du Premier ministre suivie du débat à l’Assemblée nationale, nous a contraints à bousculer le calendrier et à annoncer publiquement, par un communiqué à la presse, ce dont nous étions convaincus entre temps, que SummerLied ne pouvait pas se tenir en août 2020.
Cette décision peut-elle remettre en cause l’avenir du festival ?
Toutes les esquisses et réflexions que nous avons menées, dans des conditions pas faciles, ce que chacun peut imaginer (et même si je n’ai pas pu empêcher quelques attaques désagréables à mon égard notamment), étaient précisément faites avec la volonté farouche de ne pas compromettre l’avenir de SummerLied auquel nous tenons tous.
Nous le devons à ceux qui ont voulu, imaginé et créé Summerlied. Et nous le devons au public qui a adhéré à notre concept unique. Ce qui compromettrait l’avenir de SummerLied, ce serait le manque de courage et la lâcheté face aux difficultés, ou encore la mauvaise compréhension et l’incompétence face aux réalités économiques qui régissent toute activité quel qu’elle soit.
Même si nous avons été obligés de modérer nos ambitions pour 2020, ce que certains ont du mal à comprendre, le budget de Summerlied reste conséquent et chaque édition du festival est exposée à de gros risques, climatiques notamment, qui peuvent être une grande menace sur l’exploitation.
De plus les coûts artistiques sont galopants et l’argent ne tombe pas du ciel. Nous avons une lourde responsabilité vis-à-vis de nos partenaires publics et privés. SummerLied est très dépendant du financement, sous forme de subventions, de la part des collectivités (Région et département, mais aussi des communes, hier du SIVOM, désormais de la CAH). Pour assurer notre avenir nous devons l’avoir en tête et gérer notre affaire au mieux.
Nous devons aussi gagner en indépendance financière, par exemple en séduisant plus de partenaires privés. C’est un point de faiblesse de SummerLied ; j’en appelle à tous ceux qui peuvent nous aider dans ce sens. En résumé : nous n’avons droit ni à l’erreur, ni à l’insouciance. Par ailleurs, c’est l’occasion aussi de faire travailler nos imaginations quant à l’avenir. Si dans la Société rien ne sera probablement plus comme avant, cela devra s’appliquer aussi à notre événement.
Je dois dire que la volonté affichée de travailler davantage en réseau, avec les autres opérateurs du territoire, et le rapprochement opéré avec le Relais culturel de Haguenau s’avèrent comme étant de bons choix et allant dans la bonne direction. Avec le recul et malgré les réticentes perçues je ne peux que m’en féliciter.
Trois années sans festival : les bénévoles resteront-ils mobilisés ?
SummerLied n’est pas simplement un festival d’été, tous les deux ans dans la merveilleuse forêt d’Ohlungen, c’est un concept beaucoup plus large et plus vaste, pour ne pas dire une philosophie : celle de la valorisation d’un patrimoine culturel et du farouche attachement à un patrimoine inestimable et à des valeurs caractéristiques de l’Alsace du Nord et de ses habitants. N’oublions pas nos actions auprès des écoles et du jeune public.
Ceux qui se réjouissent de la magie des journées de festival sont profondément imprégnés de cette globalité. Leur foi et leur enthousiasme sont trop forts pour être menacés par un simple décalage calendaire auquel chacun de nous est étranger. Il s’agit désormais de préparer la suite, avec toutes les parties prenantes et notamment les bénévoles. Nous y travaillons et dès que nous en saurons plus, à la fois sur l’évolution de la pandémie et des conséquences, mais aussi quant à l’attitude de nos partenaires, nous en débattrons avec les bénévoles et leurs responsables.
L’hypothèse sur laquelle nous travaillons est de reporter le festival qui aurait dû avoir lieu cet été, sur l’année prochaine, 2021, à des dates qui seront décidées ensemble. Et à titre de « rattrapage » – mais ce serait aussi la bonne solution pour assurer la pérennité de Summerlied – nous pourrions en même temps préparer une édition suivante qui pourrait donc se tenir dès 2022.
Une première évaluation avec la directrice et l’équipe de direction du festival nous laisse penser que c’est jouable, mais il faut aussi des assurances du côté des partenaires au sens large et donc tout spécialement des bénévoles qui seraient mobilisés deux années de suite. Trois années « sans » festival – pour reprendre votre question – seraient donc suivies de deux années « avec » festival. Une belle consolation, non ?
Faudra-t-il une programmation ambitieuse pour la prochaine édition afin que Summerlied retrouve son public ?
Bien évidemment il le faut !
Comme toute offre, notre festival est quelque chose de global. Pour que ça marche, il faut que tous les éléments soient en phase et que l’ensemble soit cohérent.
Dans une offre culturelle et artistique comme la nôtre (et parmi les éléments qui nous maitrisons, ce qui n’est pas le cas d’une météo ou d’événements extérieurs), il y a tout particulièrement le plateau ou la programmation, qui est à l’évidence un élément central et déterminant. Il faut qu’il y ait « résonance » entre notre concept, tel que je l’ai rappelé plus haut, mais aussi notre public et last but not least le modèle économique.
Ce dernier point étant l’élément le plus incertain. En dehors d’artistes dont nous ne pouvons pas payer les cachets et qui remplissent n’importe quelle jauge, tout choix artistique reste délicat et complexe. On n’a pas forcément la chance de piocher tous les ans un Hugues Auffray ou des I Muvrini qui étaient à la fois cohérents avec notre concept, les attentes du public et nos ressources. Je ne suis pas compétent dans ce domaine ; c’est un métier difficile qui nécessite un véritable savoir-faire et l’expérience d’un marché difficile.
Nous faisons donc confiance à ceux qui ont cette pratique et ces compétences, tout en étant ouvert à toutes les propositions raisonnables ou pistes. C’est la raison pour laquelle la direction s’appuie sur une experte en la matière.
Là où je me sens plus compétent, c’est en matière de prudence pour ne pas prendre de risques qui nous mettraient à terre.
Je crois beaucoup à la cohérence tel que je l’évoque plus haut : c’est ça l’avenir de SummerLied, un positionnement clairement identifié, et à la hauteur de nos moyens. Une ambition, mais légitime, une offre attractive, mais sans négliger nos talents locaux et régionaux.
Un message particulier pour les artistes et les métiers du spectacle durement frappés par la crise ?
Pour exercer des responsabilité dans d’autres lieux culturels, tels le Festival international de musique de Colmar ou la Choucrouterie à Strasbourg, je suis parfaitement conscient de la tragédie qui frappe les professions culturelles : artistes, comédiens, auteurs, interprètes, musiciens.
Ces activités sont sinistrées au même titre que les professions touristiques et de la restauration, l’événementiel ou d’autres. Les dispositions et mesurettes à court terme qui s’appliquent à eux ne régleront pas le problème à moyen et long terme. Que ce sera l’après pour le monde culturel ?
D’abord au niveau du « mode de consommation » ? Certes la frustration actuelle de ne pouvoir sortir ni assister à quelque spectacle que ce soit, est une immense frustration et crée des manques qui chercheront à se satisfaire dès que ce sera possible.
Mais est-ce que les habitudes qui se sont créées à domicile pendant le confinement vont rester ou le public va-t-il revenir aux pratiques antérieures ?
Et les gens auront-ils suffisamment de moyens disponibles à consacrer au monde du spectacle, des loisirs et de la culture ?
Il serait tout à fait paradoxal que la culture devienne non prioritaire les jours d’après, car au contraire le besoin sera plus grand que jamais. Il faut espérer que la redistribution de nos valeurs lui laisse une place majeure.
Chacun, là où il se trouve et avec les moyens dont il dispose, doit faire en sorte que le « plus de culture », sous toutes les formes, s’impose et que les activités de création, de réalisation et de production triomphent.
A notre modeste niveau, les efforts que nous déployons pour faire vivre et perdurer Summerlied va dans ce sens, d’abord pour tout le monde artistique local, de proximité, mais aussi de manière plus large pour notre forme d’événement.
Propos recueillis par JACQUES SCHLEEF, créateur du Festival Summerlied et directeur jusqu’en 2015.
Entretien illustré par des photos d’artistes d’Alsace, Lorraine et Allemagne prises lors de diverses éditions. Il se termine par le dossier de 4 pages parus en septembre 2018 dans la revue Land un Sproch.